"Madame, il fallait partir". Combien de fois les victimes de violences conjugales ont-elles été confrontées à cette phrase infâme ? C'est même le titre d'une passionnante enquête sur le sujet, que l'on doit à l'autrice et avocate Céline Marcovici - longuement interviewée dans nos pages. Et ce victim blaming, c'est à dire cette inversion de la culpabilité victime/coupable, un brillant romancier en parle très bien : Edouard Louis.
Sur les ondes de France Inter, l'auteur du best seller "En finir avec Eddy Bellegueule" est revenu sur l'événement de ce semestre littéraire, la sortie de son nouveau roman, "Monique s'évade". Comme une suite à son meilleur livre, "Combats et métamorphoses d'une femme", il s'attarde dans ce récit sur l'émancipation de sa propre mère, Monique, une femme du Nord qui a mis des années à quitter son mari alcoolique.
"Quand ma mère s'est enfuie de chez cet homme qui la maltraitait, et qui une fois saoul la traitait de pute, de salope, je me suis demandé... Quel est le prix de la liberté ?", s'interroge le jeune romancier. "Car quand elle est finalement partie, il a fallu lui trouver un logement, payer une caution, lui acheter des meubles. Mais qu'est ce qu'aurait fait ma mère si je n'avais pas pu l'aider ? Et combien de femmes veulent partir mais ne peuvent pas ?".
C'est un sujet primordial qu'aborde Edouard Louis à l'antenne : l'indépendance, et par opposition la dépendance, financière, au sein du couple. On sait que cet enjeu est fondamental pour qui s'intéresse à la lutte contre les violences conjugales : l'enjeu de l'emprise financière. Et l'auteur ne s'arrête pas là...
"Ce n'est pas parce qu'on a vécu la violence une fois qu'on l'arrêtera. Ceux qui sont deux fois dominés sont tout aussi déterminés, mais déterminés à partir, à arracher leur liberté", développe Edouard Louis au micro de Sonia de Villers. "Toutes les personnes que je connais qui étaient dominantes dans mon enfance sont aujourd'hui écrasées, alors que ceux qui étaient dominés aujourd'hui s'en sont sortis".
Et l'auteur de poursuivre : "C'est un livre de joie totale, le livre d'une femme qui va réussir à s'en sortir. Pendant très longtemps, j'ai eu honte d'écrire sur la joie, je me disais toujours que le monde autour de moi est trop injuste et si je ne parle pas de la laideur du monde, dans mon écriture, alors je trahis le monde. Pour la première fois, je me suis senti convoqué par la joie de cette femme. La joie, quand elle est une revanche, elle est politique, aussi politique que la violence, de la laideur dont on essaie de se défaire".
Dix ans tout pile après la publication de son tout premier roman, Edouard Louis revient avec un texte forcément bouleversant par son caractère intime. Avec, comme toujours chez lui, cette urgence vitale d'écrire. "C'est le livre de l'évasion et de la reconstruction", raconte-t-il avec éloquence sur Instagram, "un livre hanté par Virginia Woolf et un récit sous forme de questionnement sur le coût de la liberté, l'histoire d'une femme et d'un groupe de dissidents de l'ordre sexuel, des amis, qui s'entraident et s'organisent en contre-société".