Ses poses à la fois chic et décomplexées, son physique qui sort des diktats, ses shooting en forme de mobilisation "skin positive", avec ses tâches de rousseur jamais filtrées, et plus encore revendiquées avec fierté... Au gré de ses publications Instagram abondamment likées (@o.g.queen) et de ses séances-photos fashion, la mannequin française Odile Gautreau se plaît à chambouler une sphère de la mode encore bien trop normée.
Sur son Insta aux 9 000 followers, la modèle "grande taille" précise ses pronoms de genre, comme un soutien aux personnes trans et non-binaires. Et à travers ses prises de parole, cette jeune femme de 28 ans aperçue dans les pages de nombreux magazines - de Paulette, qui l'a fait découvrir en 2013, à Vanity Fair - privilégie un discours profondément body positive, bien décidée à défendre une vision plus inclusive du mannequinat.
Portrait d'une activiste qui défile mais ne se défile jamais.
"Chaque femme s'épanouit et se développe à sa manière, c'est ce qui nous rend toutes uniques. Il n'y a pas de règles, il faut oublier les diktats, ne plus être en quête d'une perfection folle". Ce genre de discours est quotidien sur les réseaux sociaux de la native de l'Essonne. Influencée par la nouvelle vague féministe, Odile Gautreauen appelle à défendre "une beauté qui nous est propre" et à "ne pas vouloir changer pour se conformer aux normes de beauté standard".
Et c'est bien pour cela qu'elle s'affiche, des fashion weeks aux campagnes de marques célèbres (comme Nike et L'Oréal) en passant par les pages glacées des magazines. Diversité, mise en lumière des mannequins grandes tailles comme des autres, inclusion des formes, comme des peaux différentes, constituent ses mantras.
La sienne, de peau, est parcourue de tâches de rousseur qu'elle arbore comme une constellation. Une ode à l'amour de soi qui tend déjà à décomplexer lecteurs et lectrices. Sus aux épidermes photoshopés ! C'est toujours le naturel qui l'emporte ici.Sur Insta, Odile Gautreau salue "toutes celles qui luttent pour être libres de se présenter au monde comme elles le souhaitent. Sans filtres".
C'est aussi pour cela que cette artiste de mère ivoirienne ne cache pas ses cheveux crépus et afros. Mais le sans filtre n'est pas si évident dans la sphère mode. D'autant plus en France.
Interrogée par l'Obs, la blogueuse mode Stéphanie Zwicky voit d'un oeil enthousiaste les shooting et défilés de cette mannequin grande taille. Mais le déplore : "Les créateurs français sont plus frileux qu'ailleurs parce qu'ils rechignent à bousculer le cliché de la femme française, parisienne, mince. C'est pour ça qu'on accuse un retard sur ce qui se fait aux États-Unis".
Odile Gautreau, pas assez "parisienne" ? Pas de quoi blesser la principale concernée, bien au contraire. Lutter contre ces conventions culturelles qui n'ont peut être que trop fait leur temps est justement l'un de ses combats intimes et artistiques, qu'elle pose pour Gucci ou s'adresse à ses milliers de followers. "Inhaler l'avenir, expirer le passé", prescrivait-elle encore récemment, comme un slogan politique. A bon entendeur.
Et son discours a de plus en plus de résonance. La preuve ? Le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le magazine Marie Claire lui dédiait l'une de ses Unes, aux côtés de l'actrice Aïssa Maïga, de l'autrice Annie Ernaux ou encore de la chanteuse Lous and the Yakuza. Une belle consécration.
A l'instar de ces dernières, la vingtenaire est une femme engagée, et qui ne s'en cache pas.
Dans les pages du magazine, la mannequin donne le ton et cite ses role models, comme l'icône de la lutte pour les droits civiques Angela Davies. "Ses combats contre le racisme et le sexisme m'ont beaucoup aidée dans la construction de mon identité en tant que femme racisée", commente la militante body positive.
Par-delà ces clins d'oeil, la parole d'Odile Gautreau éclaircit bien des tabous. Parmi ces thématiques touchy, la santé mentale des jeunes femmes et par-là même, des mannequins. "Je pense constamment à mon apparence, pour ne pas me prendre de remarques. Dans la foule, si une personne me regarde, est-ce que c'est parce que j'ai quelque chose de bizarre sur moi ? Ce rapport au regard crée encore du stress. La clé, c'est de surmonter le regard de l'autre", témoigne-t-elle. Avant de l'avouer : "C'est trop destructeur de n'être qu'un corps".
Un discours particulièrement déconstruit. S'il se fait encore trop rare sur la scène de la mode frenchie, il rappelle davantage les prises de position des mannequins les plus inspirantes outre-Manche ou Atlantique, d'Ashley Graham à Charli Howard en passant par Cara Delevingne. Des modèles qui n'hésitent pas à montrer leur cellulite, évoquer leurs troubles de l'alimentation, parler de sujets comme la dysmorphie corporelle.... Et plus encore dénoncer les travers d'un système, celui de la mode qui, en normalisant, brutalise volontiers.
C'est dire si les mots de cette autoproclamée "queen" importent tant.