Dora Moutot est une journaliste franco-américaine basée à Paris que nous connaissons surtout pour son travail exquis sur le blog La Gazette du Mauvais Goût. C'est le genre de femme qui sort un nouveau projet alternatif tous les six mois entre deux articles pour Le Monde, et aujourd'hui c'est un de ses projets de 2012 qui revient sous les feux des projecteurs : le blog Webcam Tears.
Lancé début 2012, ce blog prend la forme d'un flot continu de vidéos de gens qui se fiment en train de pleurer devant leur webcam. Pour Dora, à l'heure où se montrer nu sur internet n'a plus grand chose de subversif ou de surprenant, les larmes deviennent une nouvelle forme de pornographie. Parce qu'il y a ce côté interdit et voyeur, mais aussi cette drôle de sensation d'être en train de regarder quelque chose qu'on ne devrait pas voir- ce qu'on ressentait devant le porno avant qu'on finisse par s'y "habituer" et qu'il devienne aussi facilement accessible.
Il n'y a qu'à voir à quel point on peut être hypnotisée ou subjuguée quand on croise quelqu'un qui pleure dans un lieu public. On a envie de savoir pourquoi, de regarder sans dévisager, on jette des petits regards furtifs, on invente des raisons à ces larmes... Parce qu'on ne se retrouve pas souvent confrontées aux larmes des autres, au quotidien. On connaît les nôtres, celles des gens qui nous sont très proches (et de nos enfants, plus courantes mais moins mystiques), mais on a du mal à imaginer notre boss, notre voisin ou notre boulangère pleurer, par exemple.
Avec Webcam Tears, on peut donc observer de parfaits inconnus, hommes et femmes, verser des larmes face à leur ordinateur, sans trop savoir pourquoi.
Dora Moutot décrivait déjà son projet dans une interview accordée au site madmoiZelle en février 2012 :
"En gros, c'est une collection de larmes. Une sorte de compilation de tristesse contemporaine, de tristesse au temps du web. Vu le temps qu'on passe à notre époque devant l'ordi, dans un monde où ton Mac est un peu "le joyau de ta vie" , je pense que tout le monde s'est déjà retrouvé seul, face à son ordi, à verser une larme devant l'écran."
C'est une nouvelle façon de s'exposer, de s'exhiber, de montrer ce qu'on est au reste du monde. Puisqu'on aime publier des selfies, des photos de ce qu'on mange, de ce qu'on porte, des endroits où on part en vacances, de nos animaux de compagnie, pourquoi ne pas y ajouter nos larmes ?
Et si vous aimez voir les gens pleurer, il faut également savoir que Webcam Tears a été inspiré par l'oeuvre de l'artiste Laurel Nakadate intitulée 365 Days : A Catalogue of Tears, une collection d'autoportraits larmoyants capturés au cours d'une seule année. Puisqu'on cherche à briser tous les tabous depuis quelques années, notamment ce qui concerne le corps et ses expressions diverses, on peut aussi libérer nos glandes lacrymales et rendre leurs effusions publiques.