"Voir Portrait de la jeune fille en feu était une grande expérience, j'avais l'impression de toucher l'écran, que tout mon corps était tendu vers celui-ci". Ces mots passionnés sont ceux de la critique cinéma Iris Brey, autrice de l'essai de référence Le regard féminin. Et ils résument bien tout ce que l'on peut éprouver en visionnant ce film profondément sororal de Céline Sciamma, qui célèbre aujourd'hui ses 5 ans.
Disponible sur Netflix, Portrait de la jeune fille en feu redouble d'intensité au fil des visionnages. Cette histoire d'amour sensuelle entre une peintre et son modèle, interprétées respectivement par Noémie Merlant et Adèle Haenel, a su grandir depuis sa sortie en salles le 18 septembre 2019. Et s'imposer comme une oeuvre majeure de la culture lesbienne, et du cinéma hexagonal, pour bien des raisons.
Des arguments qui tiennent autant des performances saisies par le regard de Céline Sciamma que de l'impact de l'oeuvre sur la scène militante... On vous donne cinq bonnes raisons à ce props de revoir cette love story bouleversante entre femmes !
Dans la peau de celle qui voit son image immortalisée sur la toile, Adèle Haenel trouve le rôle d'une vie, aux côtés de sa binôme Noémie Merlant - à retrouver en cette rentrée au cinéma dans la peau de la sensuelle Emmanuelle, l'héroïne du film érotique éponyme. Modèle attentif mais jamais passif, mystérieux, trouble, complexe, synonyme de désir pour son interlocutrice, mais aussi de bouleversement intérieur...
Voix majeure du mouvement #MeToo en France, âme soeur (son ancienne compagne) de Céline Sciamma, sans être muse pour autant, Adèle Haenel est une grande comédienne qui aujourd'hui s'épanouit davantage sur les planches. Et sa profonde mélancolie trouve dans ce film un éclat rare. Peut être car l'actrice est en parfaite cohésion avec celle qui la regarde... Et celle qui la filme ?
"Céline Sciamma invente tout un dispositif et un imaginaire. Elle repense la manière dont on peut raconter une histoire d'amour entre deux femmes et tout est réfléchi. Dans l'histoire qu'elle illustre, et l'érotisme qui en émane, il n'y pas de hiérarchie, jamais. En ce sens, il peut déstabiliser, car il y a du consentement partout dans cette oeuvre, jamais de regard voyeur", détaille Iris Brey pour Terrafemina. C'est très bien résumé.
C'est pour cela que le style de Céline Sciamma, que l'on s'impatiente de retrouver sur grand écran - depuis trois longues années déjà - est à ce point singulier dans le paysage du cinéma français. Chez elle, tout est intime et politique. Co-instigatrice du collectif 50/50, l'artiste lutte pour la parité dans le cinéma et l'audiovisuel et cela se ressent à travers la manière dont elle compose la relation entre ses personnages.
Cinéaste lesbienne, à la Une du tout premier numéro de l'excellente revue queer Well Well Well en 2014, elle fait porter ses convictions jusqu'à ses fictions sans jamais cependant éluder l'aspect sensoriel de ses oeuvres. "Chez elle, il y a toujours un côté très généreux dans sa manière de donner à voir et à penser. Il y a dans son cinéma la simple possibilité de la découverte et du plaisir, oui, mais aussi celle d'aller plus loin, d'explorer d'autres voies, sans exclure personne en chemin", explique à ce titre la journaliste et autrice Brigitte Rollet dans nos pages.
Le génie lesbien, c'est le titre de l'ouvrage de l'élue et autrice Alice Coffin, détaillant dans ce livre éponyme pourquoi les lesbiennes sont si invisibles dans la société française. Le mot lui-même a l'allure d'une grossièreté : il ne faudrait pas le prononcer, pas en parler, car "on s'en fout, c'est privé !" - et tant pis si le bannir du langage revient à éluder au passage les violences lesbophobes et l'importance du coming out lesbien.
Difficile effectivement de "sortir du placard" si la seule réponse apportée à l'affirmation de son identité est un "c'est pas nos affaires !". C'est l'affaire de tous et toutes, dans une société largement marquée par les discriminations et l'exclusion de genre. Le terme de "génie lesbien" est chez Alice Coffin justement l'inverse, la mise en lumière fière, très incarnée et déterminée de tout un matrimoine.
Créatrices, pionnières, artistes LGBTQ qui constituent une culture à part entière. C'est aussi de cela dont il est question à travers le féminisme, l'histoire de femmes qui aiment les femmes. Tout cela, Portrait de la jeune fille en feu l'adresse, tout en s'intégrant d'emblée, spontanément, à ce matrimoine en question. Il faudra désormais plus que jamais compter sur Adèle Haenel et Céline Sciamma pour "revendiquer".
D'ailleurs au fil de comptes Twitter pop et LGBTQ comme Lesbien Raisonnable, on a pu témoigner de la popularité du nom de "Céline Sciamma" et de la résonnance des prises de parole d'Adèle Haenel. Mais également, des images du film, abondamment relayées sur les comptes ciné étrangers qui pullulent sur les réseaux sociaux. Des panoramas maritimes où évoluent nos protagonistes à leurs baisers sulfureux.
Un seul film peut avoir un impact réellement pluriel. Auprès d'Augustin Trapenard, Céline Sciamma elle-même disait d'ailleurs : "Je suis obsédée par l'énergie d'un film une fois qu'on le dépose dans le monde : comment il va être utilisé, transformé. Comment une image qu'on a fabriquée dans notre intimité se charge d'un coup d'une puissance collective".
Par-delà les peintures magnifiques de Hélène Delmaire, artiste dont les oeuvres ponctuent ce film - ce sont ses toiles que l'on voit auprès des mains de Noémie Merlant - et que l'on peut d'ailleurs suivre sur Instagram, l'une des artistes les plus importantes de ce "Portrait" est clairement sa directrice de la photographie Claire Mathon.
Récompensée d'un César d'ailleurs pour l'image sublime de ce film qui saisit à travers la flamboyance d'un relation, celle des paysages alentours, magnifiés. Ciel, plage, mer, lumières environnantes, sont d'une beauté à se damner. On s'éprend de ces paysages qui donnent l'impression de se balader au sein d'une galerie d'art. Sauf qui rien n'y est figé, tout est mouvant, et surtout : émouvant.
"Moins de patriarcat, Plus de Céline Sciamma !"
Dès notre découverte en pleine marche lesbienne pour la PMA pour toutes de cette pancarte, on pouvait volontiers se douter de l'impact fou de Portrait de la jeune fille en feu. Les illustrations représentant Adèle Haenel et son personnage n'ont eu de cesse de foisonner durant les manifs féministes. Parmi l'une des plus éloquentes images, celle de l'actrice quittant la cérémonie des César suite au sacre de Roman Polanski en criant "La honte !", et dessinée ainsi, des flammes ajoutées sur l'illustration. Pour toujours, elle sera donc : la jeune fille en feu.
Symbole d'une colère tout aussi flamboyante donc. En quatre ans, les "fandom account" déployant tatouages, dessins, parodies, témoignent de l'importance du film dans la culture populaire, et à l'international. "C'est assez inédit comme suivi. Des milliers d'internautes sur Twitter et Instagram partagent les adresses où voir ses films et ses conférences, postent des photos d'elle. Un podcast américain tout entier est même dédié à Portrait de la jeune fille en feu, Podcast of a Lady on Fire. Il parle de représentations, de female gaze, de lesbianisme", nous expliquait en 2021 la critique cinéma Pauline Mallet. Et ce n'est pas fini.
Poursuivons le mouvement !