A peine débarquée au lycée, l'adolescente Vanessa se retrouve dévorée par G., romancier admiré de sa petite cour parisienne. Elle va subir des années durant emprise, abus, manipulations. Cela, elle ne le comprendra que bien plus tard. Bien trop tard ? Voilà ce que relate Le consentement, récit de Vanessa Springora nous narrant comment, à l'âge de 14 ans seulement, la future éditrice a été prise entre les griffes de l'écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de 50 ans.
Dans son livre choc, Vanessa Springora relate aussi bien le phénomène d'emprise et l'impunité des puissants que l'aspect mortifère d'un certain milieu culturel, faisant passer l'artiste devant l'homme au nom d'une liberté qui protège les privilèges. Derrière "l'affaire Matzneff" se déploie une réflexion vertigineuse sur l'écriture, la littérature, la parole : ce qu'exprime aujourd'hui d'une manière tout aussi forte le dévastateur Triste tigre de Neige Sinno.
Or, depuis le 11 octobre, vous pouvez découvrir en salles la transposition très redoutée à l'écran du Consentement par Vanessa Filho, où la révélation Kim Higelin incarne la jeune Vanessa Springora, alors que Jean-Paul Rouve se retrouve, méconnaissable, dans la peau de Gabriel Matzneff.
Mais alors, était-ce vraiment nécessaire de l'adapter au cinéma ?
Et bien oui, c'était nécessaire.
Mais Vanessa Filho, en outre, propose bien plus qu'une simple transposition...
Le consentement est un vrai film d'autrice. Il a été scénarisé et mis en scène par la cinéaste Vanessa Filho, englobant de son regard l'entièreté de cette adaptation appliquée et extrêmement risquée.
Et de regard, il en sera justement question.
Car en introduisant son film par la voix de Gabriel Matzneff, incarné par un Jean-Paul Rouve impressionnant de justesse, Vanessa Filho nous donne à voir le point de vue de l'écrivain, là où le récit de Vanessa Springora, fort logiquement, s'attachait avant tout à celui de Vanessa. Tout un pan du film nous plonge dans la tête de cet homme de lettres "attirant par sa réputation", pour reprendre les mots si justes de la regrettée autrice féministe Denise Bombardier.
Et cela s'exprime subtilement : par la mise en scène.
Lumière éblouissante envahissant le cadre, érigeant symboliquement l'écrivain en divinité vénérable, contre-plongée surlignant sa position dominante, disposition du personnage au centre du cadre (lors d'une scène au théâtre, où Matzneff dénote au sein d'un public pourtant foisonnant)... Vanessa Filho multiplie les effets, parfois très discrets, afin de nous faire ressentir le rapport de Matzneff aux autres, et à lui-même. En deux mots : un homme qui se croit au centre du tout, d'une relation comme du monde, et s'apprécie énormément.
Entre les lignes ce sont les rapports de domination qui se tissent, tel des fils invisibles, impalpables mais bel et bien là. Mais Le consentement nous fait également épouser le point de vue de Vanessa. Et notamment l'espace d'une seconde partie beaucoup plus crue, triviale et frontale. On pense à cette séquence glaçante au sein d'une chambre d'hôtel, où Vanessa Filho fait un usage du contre-champ particulièrement choc. Un contre-champ brutal qui fait passer Gabriel Matzneff de personnage auto-mystifié, sacralisé par celle qui se retrouve possédée, à figure grotesque et terriblement triviale...
Tout au long du film, certains éléments formels comme l'usage de la lumière par exemple, seront cependant réitérés, et ce qui apparaissait auparavant comme l'illustration des émotions positives de Vanessa (la joie, l'euphorie), accompagneront dès lors sa tristesse, son désespoir et sa souffrance. Cette confusion est logique, puisque l'emprise, c'est cela : le ressenti de la personne concernée et sa perception des choses se troublent.
Mais pourquoi insister à ce point sur les points de vue ?
En vérité, c'est la manière la plus intelligente de concevoir la plume de l'autrice.
Lolita, le roman sulfureux de Vladimir Nabokov, a longtemps fait l'objet d'une... Confusion, justement. L'écrivain américain d'origine russe aimait à rappeler en interview à quel point son récit était incompris par la critique. Alors que beaucoup considèrent son "héros" comme le coeur d'un récit d'amour fou, Nabokov souhaitait avant tout nous plonger dans la tête d'un manipulateur, d'un malade, pourtant persuadé de la beauté de sa passion.
Tout au fond est une question de regard. Quel est le point de vue que l'on nous propose ? Quel sens conférer aux mots et aux images ? Quelle perception au juste nous invite-t-on à épouser ? Vanessa Filho est consciente de cet enjeu fondamental : l'affiche du Consentement présente les mains de Matzneff, recouvrant les yeux de Vanessa. Comme pour lui voler son regard et nous imposer le sien. C'est là que commence la domination.
Avec son usage de la lumière, oscillant de la crudité froide au lyrisme selon les séquences, son emploi symbolique du champ et du contrechamp, ses idées de mise en scène, la composition de ses cadrages, Vanessa Filho nous interroge sur l'importance du point de vue non seulement au sein de notre société, mais au cinéma. Un apport fondamental par rapport au texte originel.
Et une réflexion qui va de pair avec celles de Vanessa Springora, lorsqu'elle écrit par exemple : "Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ? Cent fois, j'avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu'elle était mal posée, dès le départ. Ce n'est pas mon attirance à moi qu'il fallait interroger, mais la sienne".
Qui porte un regard sur quoi au final ? La société sur cette relation qui n'est avant tout qu'abus ? Vanessa sur Gabriel Matzneff ? Celui-ci sur Vanessa ? Ou tout cela à la fois ? Tour à tour au plus près de sa protagoniste et distanciée, extrêmement frontale et beaucoup plus subtile, la mise en images de cette histoire semble s'accorder pour cette dernière option, n'hésitant jamais à nous plonger aux tréfonds de notre malaise de spectateur.
Vanessa Springora elle-même, qui a par ailleurs participé à l'écriture du scénario semble le suggérer quand elle affirme sur les ondes de France Inter :
"Artistiquement, le film apporte quelque chose que les mots ne peuvent pas atteindre de la même manière, cette frontalité de l'image".
"Dans la prise de conscience des violences sexuelles vécues par les mineures, c'est très important de montrer ce choc visuel, que peut-être par pudeur je n'ai pas creusé autant que j'aurais voulu le faire. Au cinéma, on peut atteindre cette violence-là".
Habité par des comédiens très investis - on saluera notamment l'interprétation de Laetitia Casta - Le consentement est un film aussi douloureux que complexe. Une séance puissante et nécessaire.
Le consentement, de Vanessa Filho
Avec Kim Higelin, Jean-Paul Rouve, Laetitia Casta...
En salles ce 11 octobre