"C'est la petite beurette qui est montée dans les échelons...". On hallucine devant cette définition employée par l'éditorialiste Yves Thréard sur le plateau de "C dans l'air", l'émission de France 5, pour désigner... Rachida Dati. Stupéfaction face à l'emploi de ce terme : "Beurette". Qui, bien antérieur à la nomination de l'actuelle ministre de la culture, renvoie à des décennies d'imaginaire raciste et de fétichisation qui l'est tout autant.
C'était le 7 février, en direct, face à Caroline Roux, et si la phrase a suscité peu de réactions sur le plateau, ce ne fut naturellement pas le cas sur les réseaux sociaux. Ce court extrait a abondamment été relayé. "C'est trop pour lui de dire que c'est une femme d'origine maghrébine qui a fait des études", "Le racisme c'est open bar aujourd'hui en France ! Je suis choquée", "Etre cantonnée à un statut de beurette même quand on est ministre , c'est sans espoir, la France est définitivement un pays raciste", sont venus s'exclamer les spectateurs.
C'est bien légitime : la désignation de "beurette" s'inscrit profondément dans un lexique d'un racisme décomplexé et bien des paroles peuvent en témoigner.
On explique.
Pour saisir la teneur de cette expression, il suffit par exemple de se plonger dans l'enquête "Beurettes, un fantasme français", des journalistes et chercheuses Sarah Diffalah et Salima Tenfiche. Mot chargé de désigner les femmes françaises issues de l'immigration maghrébine, et surtout d'alimenter les clichés qui leur sont associés, "Beurette" est également devenu un fétichisme sexuel : un "tag" qui se retrouve sur les plateformes X.
C'est dire l'imagerie à laquelle il renvoie, entre stéréotypes racistes et fétichisation décomplexée. La première partie de cette observation alimente la deuxième. Cela, Sarah Diffalah nous l'a expliqué : "les sites porno ne sont que le reflet de ce qu'il y a dans la société. Ils alimentent les clichés mais ne les créent pas. Ils sont très humiliants, mais beaucoup moins dangereux dans le dialogue du débat quotidien que les représentations qu'on a dans les médias, alimentées par certains partis politiques, et inconsciemment par tout à chacun".
"Beurette", c'est, réellement, une double peine pour les citoyennes d'origine maghrébine : la combinaison redoutée entre hyper sexualisation, désignation sexiste, et stéréotype raciste. Et Salima Tenfiche de l'assurer : "ce terme, "beurettes", est maintenant considéré comme une insulte, associé à des étiquettes dégradantes".
Autres mots, ceux de la journaliste Faïza Zerouala, dans son texte manifeste "Ne m'appelez plus beurette" : "En 2015, l'éditorialiste Christophe Barbier a qualifié Rachida Dati de " beurette ". Voilà la femme politique ravalée au rang de créature exotique et docile. Ce mot renferme tout le mépris possible, que sa terminaison en –ette ne parvient à adoucir.". On le comprend à travers cette tribune publiée en 2015, Rachida Dati avait déjà été insultée ainsi, et déjà, à l'antenne, en toute décontraction...
"La 'beurette' représente celle qui est intégrable, " pas comme les autres ", inoffensive en somme. Mieux, le destin déchirant de la " beurette ", considérée comme un pauvre animal à secourir, à mi-chemin entre Bambi et un chaton mignon, émeut. Pire, la " beurette " titille la fibre héroïque de ceux qui estiment qu'ils doivent la sauver des griffes de sa méchante famille et culture pour l'émanciper. Son consentement étant facultatif".
Pour Faïza Zerouala, le terme "beurette", né au cours des manifestations "anti-racisme" dans la France des années 80, sans l'approbation des femmes ainsi désignées, aurait disparu avant de revenir par le biais du rap, fétichisant à l'unisson la "beurette à chicha", et dans un même temps, de la téléréalité : ce mot sert "à insulter les filles aux moeurs jugées trop légères, à l'amour démesuré du maquillage et autres artifices cosmétiques, comme Nabilla et Zahia, l'escort girl, considérées comme des bimbos orientales sans cerveaux".
En 2024 et malgré ces rappels, ce mot perdure malgré tout.