Delphine de Vigan : Au bout du compte, il me semble avoir exploré différentes formes dans ce livre : le roman, la biographie, l’autobiographie et probablement l’autofiction en ce qui concerne les passages où je me mets en scène à la fois en tant que narratrice et personnage du livre. Mais « Rien ne s’oppose à la nuit » tente avant tout de raconter la vie de ma mère, de sa petite enfance jusqu’à sa mort, une vie de femme qui commence dans les années 50 et se termine en 2008, qui couvre plusieurs époques et qui est aussi influencée par elles.
D. de V. : Je ne parlerai pas de souffrance mais plutôt de questionnement, d’inconfort. Je ne voulais pas écrire ce livre ; il s’est imposé à moi. Ma trajectoire d’auteure passait par ce point et ne pouvait le contourner. Ecrire sur sa famille pose aussi la question des droits et des devoirs que l’on a envers elle, et je n’y étais pas indifférente, même si je sais qu’il faut parfois transgresser les peurs ou les interdits pour que les mots puissent exister. Ce n’est pas confortable. Mais écrire n’est jamais confortable et il me paraît indispensable que l’écriture soit un lieu de recherche, d’interrogations, de doutes, de conflits. Pour ce livre, le conflit se jouait entre moi et moi : jusqu’où pouvais-je aller ? Oui, j’ai failli abandonner cette entreprise, pour de mauvaises raisons. Par paresse ou par lâcheté. Mais à chaque fois le livre m’a reprise. Il faut dire aussi que j’ai eu de grands moments de plaisir, de jubilation dans l’écriture, notamment dans l’évocation des aspects les plus fantasques, les plus burlesques de ma famille et de sa mythologie : le grand-écart de ma grand-mère à 70 ans en justaucorps brillant, les fulgurances humoristiques de ma mère, l’organisation savante des repas de notre tribu en vacances, la grande maison de Pierremont traversée de courants d’air , de rires et d’odeurs de cuisine… Je ne regrette rien. Ce livre est pour moi une grande victoire et je suis heureuse qu’il existe pour mes enfants.
D. de V. : J’ai fait lire le roman avant sa parution à toutes les personnes concernées. Ma sœur l’a lu sur manuscrit, elle était la seule qui aurait pu m’arrêter. Les frères et sœurs de ma mère ont lu le livre imprimé. Ils l’ont accueilli avec inquiétude, sans doute, mais aussi avec bienveillance. Ils m’ont tous écrit ou téléphoné. Il n’y a pas eu de silence autour de ce livre, et c’était le plus important pour moi. Je ne veux pas dévoiler leurs réactions, cela les regarde. Je peux juste dire qu’elles m’ont beaucoup impressionnée. Ils m’ont tous dit merci, ce qui m’a bouleversée.
D. de V. : En ce qui concerne ma mère, il m’est plus difficile de répondre. Je ne sais pas comment elle aurait appréhendé ce livre et je ne le saurai jamais... Il contient des extraits de textes qu’elle a écrit elle-même et qu’elle a essayé de publier à plusieurs reprises. En ce sens je n’ai pas le sentiment de la trahir, et j’ai même sans doute eu parfois le fantasme de prolonger quelque chose qu’elle aurait aimé faire elle-même. Le livre est un livre d’amour et un hommage avant tout. Nul règlement de compte dans ma démarche. J’ai voulu rendre hommage à ma mère, à son mystère, à sa douceur, à sa douleur, à sa violence et à sa beauté.
D. de V. : Je suis une fan de Bashung, -comme beaucoup de gens de ma génération- depuis la première heure ! J’aimé énormément cette phrase, elle m’a poursuivie pendant l’écriture, à chaque fois que je sortais de chez moi pour marcher, cet air revenait (« Osez Joséphine »). A la réflexion, je crois que cette chanson évoque pour moi la transgression dans ce qu’elle a de plus poétique et de plus fantaisiste.
D. de V. : « Rien ne s’oppose à la nuit » ne me semble pas si sombre, même s’il brasse des thèmes qui peuvent sembler lourds. Il est beaucoup moins sombre que « Les heures souterraines ». C’est un livre qui parle d’amour avant tout. Il me semble qu’il faut savoir évoquer les morts pour que les vivants puissent continuer. Je suis sans doute naturellement portée vers les personnages (et les personnes) blessés par la vie. Cela n’exclut pas la comédie. Je travaille en ce moment sur un projet totalement loufoque pour le cinéma. Ces deux aspects sont extrêmement présents dans ma vie.
Crédit photo : Delphine Jouandeau
« Les heures souterraines », de Delphine de Vigan
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