On avait quitté "Pana" il y a peu suite à la découverte de son réjouissant spectacle "Presque", sur Netflix. Drôle, émouvant, malicieusement féministe, l'humoriste révélé dans "Le petit journal" y abordait son rapport à l'amour, au couple, à ses crises existentielles, à son coloc, et surtout, à son père.
Cette impudeur recouvre le premier livre du comédien, paru aux éditions Stock et déjà largement salué par le public : La prochaine fois que tu mordras la poussière. Titre qui donne le ton. Exit les rires, on s'en prend plus volontiers plein la gueule dans ce récit intime, cru, cul, politique. Panayotis ne ment pas. Il explore ses angoisses : imaginer son père mourir sans un "je t'aime", assumer son homosexualité longtemps refoulée, aborder sa relation aux émotions... La confusion des sentiments comme exercice de déconstruction à vif.
Et ce qui en émane est universel, ou en tout cas, intensément générationnel : remise en question des injonctions genrées (style "boys don't cry"), étude du père pour mieux scruter le patriarcat, introspection des plans cul, focus frontal sur une virilité perçue comme culture imposée, contraignante. C'est puissant.
On le dévore.
A la lecture de ce livre qui cogne au ventre, on pense fort à la chanson "Kid" de Eddy de Pretto : "Tu seras viril mon kid, je ne veux voir aucune larme glisser sur cette gueule héroïque et ce corps tout sculpté...". Car c'est précisément cela qui nous est relaté, l'apprentissage de la virilité par un père à la fois omniprésent et trop absent, l'injonction à devenir un mec, un vrai - hétéro, libidineux, fort, conscient de son assurance, les couilles sur la table.
Contrôler ses sentiments, comme son anxiété, bien carabinée. Faire de sa sexualité un motif d'orgueil inépuisable. Tirer vanité de sa bite, "d'en avoir". Dès l'adolescence, penser "J'oscille entre être fier de mon pénis, vouloir le montrer au monde entier, et le trouver ridicule". La désillusion arrive vite. L'auteur se borne aux normes hétéros, à une attirance qu'il n'a pas, puis comprend que ça ne pourra plus durer, après quelques sextos aboutissant à l'impasse :
"Je veux me rappeler ce que c'est qu'être un homme. Et souvent je me trompe. Je me retrouve la queue molle, face à elle, à devoir expliquer pourquoi je suis incapable de faire ce qu'on s'est promis de faire par messages. Plus un homme : un enfant dépossédé de toute virilité".
Les conséquences fâcheuses du patriarcat. Un système qui alimente ses névroses, le cloisonne dans une case où il étouffe, et au sein de laquelle il éprouve une sensation terrifiante de vide, de peur et d'insatisfaction.
Dès l'enfance, nous expliquait déjà son spectacle "Presque", lui est imposé un ordre paternel qui résume justement bien l'absurdité de ce "mythe de la virilité", dixit la philosophe Olivia Gazalé : ne pas pleurer. La prochaine fois que tu mordras la poussière renverse la donne. C'est une ode aux larmes, qu'on pourrait presque rapprocher de la thérapie. Chez lui, elles sont libérées à l'écrit, sur scène, dans la vie. Une certaine idée des nouvelles masculinités.
Et l'auteur de s'interroger : "Que deviennent les larmes qui n'ont pas coulé ?".
Et "Pana", 25 ans, de nous raconter son coming out au gré des pages.
Encore une fois, rien n'est facile : regards amusés du père quand son fils se met du vernis à ongles, sentiment de honte, premiers rapports physiques traversés de peur. Quand il découvre qu'il aime les hommes, l'auteur fait une tentative de suicide. C'est "une longue descente aux enfers". Il connaît une très forte dépression. Et déplore : "Je n'avais que dix huit ans, putain".
A propos de son premier petit ami, il explique : "Je sais précisément tout ce qu'il va faire et ça me rend triste. Je pense au combat qu'il traverse, je sais tout ce que ça a et va bouleverser dans sa vie d'aimer un homme". Une lutte qu'il va lui-même lourdement porter sur ses épaules. "Mon premier appartement, j'aimais les femmes et j'étais triste. Celui de Bastille, j'ai découvert les hommes, j'ai vécu quelque chose de fort et j'étais triste".
On pourrait craindre le pathos dans ce témoignage, mais pas du tout. Tous ces fragments de vie, Panayotis Pascot les assemble comme un puzzle dont il étudierait encore le sens. L'homosexualité est une facette parmi d'autres d'un jeune homme qui se cherche au sein d'une existence cernée par les mensonges (des autres, qu'on se fait à soi), les complexes intériorisés, l'hypocrisie, l'apparence. Sa réponse ? Se foutre littéralement à poil, l'espace d'évocations qui n'hésitent jamais à être explicites. Quitte à remuer.
"Pour vous, c'est un spectacle. Pour moi, c'est ma vie", affirmait sourire en coin Panayotis Pascot dans son stand up. La prochaine fois que tu mordras la poussière élude la partie "spectacle" de l'assertion. C'est la vie brute, qui palpite, sans filtre Insta, entière, un récit d'une déconcertante authenticité.
Et c'est poignant.
La prochaine fois que tu mordras la poussière, par Panayotis Pascot
Stock Editions, 240 p.