La "Parisienne" ? Une créature blanche et longiligne, nimbée de chic et de mystère, enveloppée d'un long manteau, chaussée de ballerines, baguette sous le bras, béret sur la tête. Un être évanescent qui se déploie à travers les pages des magazines fashion, les séries, le cinéma, les pubs. Mais qui n'existe pas. Car cette Parisienne-là est une chimère.
Depuis des années, Rokhaya Diallo s'interroge : pourquoi existe-t-il un tel écart entre cette "Parisienne" fantasmée et la réalité ? A qui profite ce mythe ? Dans son documentaire La Parisienne démystifiée diffusé sur France 3, la réalisatrice est partie à la rencontre des "vraies" habitantes de la capitale. Celles qui la font vivre, bouger, rayonner. Une joyeuse galerie de femmes qui dessine les contours d'une identité infiniment plus complexe (et passionnante) que les stéréotypes figés et désuets.
De l'élue EELV et militante lesbienne Alice Coffin à l'écrivaine Grace Ly, de la styliste Gaëlle Prudencio à l'avocate Elisa Rojas en passant par la blogueuse Anlya Mustapha, toutes déconstruisent cliché après cliché cette "Française idéale" façonnée par le marketing et le regard masculin.
Nous avons interrogé Rokhaya Diallo sur ce projet de démystification nécessaire.
Rokhaya Diallo : Parce que c'est un mythe qui me concerne en premier lieu : je ne me reconnais pas dans cette vision perpétuée au-delà de nos frontières. Je suis née à Paris, je me sens éminemment Parisienne, mais je ne suis jamais totalement reconnue dans l'image qui en était promue. Et j'ai donc eu envie d'interroger ces clichés en allant à la rencontre d'autres personnes qui, selon moi, défiaient ce mythe.
R.D. : Avant tout à la marque "Paris", à la marque de "La Parisienne". Elles permettent de vendre des produits en prétendant donner des clés et des recettes à toutes les femmes du monde pour ressembler à cette prétendue "Parisienne". Cette Parisienne-là est en fait un support publicitaire qui génère énormément d'argent. C'est ce qui se cache derrière ce concept : l'idée de capitaliser, de matérialiser pour encourager la dépense.
R.D. : En tout cas, ce stéréotype de la Parisienne est lié à la domination et à la perception masculine. Elle a été fabriquée pour être toujours séduisante. C'est une figure qui a été forgée par le désir masculin.
R.D. : Oui, car il ne permet pas aux femmes de s'épanouir en tant que telles : il les soumet à des critères de beauté très étroits.
R.D. : Oui, car si ce cliché bénéficie à l'image touristique et aux intérêts économiques de la France, il crée une forme de pression pour les Françaises. Beaucoup de femmes ont l'impression de ne pas ressembler à ce à quoi elles devraient ressembler. Nous faisons face à des injonctions inaccessibles, ce qui n'est jamais une très bonne chose pour notre santé mentale.
R.D. : Tout à fait. Je pense que "La Parisienne" a été conçue comme une espèce de femme idéale selon le patriarcat : une femme qui ne grossit pas, qui ne vieillit jamais, qui peut avoir des enfants sans que cela ne la marque, qui n'est jamais contrariée. Elle saurait se contraindre sans que les efforts ne soient apparents. "La Parisienne", c'est un peu le mode d'emploi que l'on donne à toutes les femmes occidentales sur ce qu'elles devraient être.
R.D. : Pas grand-chose de bien ! (rires) Cette série dépeint le Paris des gens qui n'y vivent pas. Je n'ai par exemple jamais vu un Paris sans aucune personne d'origine magrébine. C'est totalement caricatural : les Parisiennes sont dépeintes comme des femmes antipathiques, c'est un Paris sans métro, sans contraintes.
Je trouve dommage de continuer à entretenir l'idée d'un Paris très blanc, avec des femmes très minces, bourgeoises. Alors qu'il y a tellement d'autres femmes : des immigrées, des pauvres, des femmes de toutes morphologies qui existent et qui investissent la ville. Mais malheureusement, cette série contribue à nous invisibiliser, nous les Parisiennes qui ne correspondons pas aux clichés.
R.D. : Parce qu'on imagine- à tort- qu'elle est moins vendeuse. On lie le prestige de Paris à une carte postale, une image d'Epinal. Paris ne serait séduisante qu'à travers cette figure uniforme. Je crois au contraire que la modernité de Paris, c'est sa pluralité et qu'on aurait tout intérêt à montrer ce qu'elle est véritablement : une ville de rencontres, plurielle, dynamique.
Quand on pense à New York ou à Londres, on n'imagine pas "La Londonienne" ou "La New Yorkaise" : on a en tête des images de diversité et de pluralité. Ce n'est pas le cas de Paris et c'est bien dommage de cacher une telle ressource et de telles forces.
R.D. : Bien sûr, à partir du moment où l'on conteste des carcans établis par le patriarcat. Affirmer des corps pluriels de femmes dans l'espace public, c'est une démarche nécessairement politique.
R.D. : Il est important d'encourager les créations de contenus qui exposent Paris sous un autre angle : il faut montrer d'autres arrondissements, d'autres espaces, d'autres activités que celles que l'on associe traditionnellement à la ville. Et il est essentiel de rappeler que Paris n'est pas la France. Montrer la France dans toute sa diversité, c'est aussi une manière de déconstruire ce mythe, de dézoomer l'attention que l'on porte à Paris.
R.D. : Le pass Navigo !
R.D. : Le 19e. C'est l'arrondissement dans lequel j'ai grandi et qui symbolise la pluralité de Paris pour moi : parce qu'il y a le Zénith avec ses concerts, le Canal, les Buttes Chaumont, Belleville et les quartiers populaires... Autant de facettes de Paris qui sont réunies en un seul arrondissement. J'adore.
La Parisienne démystifiée
Un film inédit de Rokhaya Diallo
Diffusion le 11 octobre 2021 à 22h50 sur France 3 Paris Île-de-France