Société
Rokhaya Diallo : "Pourquoi le mythe de la Parisienne est sexiste"
Publié le 7 octobre 2021 à 17:33
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Dans un documentaire à la fois facétieux et salutaire, la réalisatrice et éditorialiste Rokhaya Diallo s'emploie à détricoter le mythe de la fameuse "Parisienne" dont raffole tant la publicité.
La réalisatrice Rokhaya Diallo La réalisatrice Rokhaya Diallo© DR
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La "Parisienne" ? Une créature blanche et longiligne, nimbée de chic et de mystère, enveloppée d'un long manteau, chaussée de ballerines, baguette sous le bras, béret sur la tête. Un être évanescent qui se déploie à travers les pages des magazines fashion, les séries, le cinéma, les pubs. Mais qui n'existe pas. Car cette Parisienne-là est une chimère.

Depuis des années, Rokhaya Diallo s'interroge : pourquoi existe-t-il un tel écart entre cette "Parisienne" fantasmée et la réalité ? A qui profite ce mythe ? Dans son documentaire La Parisienne démystifiée diffusé sur France 3, la réalisatrice est partie à la rencontre des "vraies" habitantes de la capitale. Celles qui la font vivre, bouger, rayonner. Une joyeuse galerie de femmes qui dessine les contours d'une identité infiniment plus complexe (et passionnante) que les stéréotypes figés et désuets.

De l'élue EELV et militante lesbienne Alice Coffin à l'écrivaine Grace Ly, de la styliste Gaëlle Prudencio à l'avocate Elisa Rojas en passant par la blogueuse Anlya Mustapha, toutes déconstruisent cliché après cliché cette "Française idéale" façonnée par le marketing et le regard masculin.

Nous avons interrogé Rokhaya Diallo sur ce projet de démystification nécessaire.

Terrafemina : Pourquoi avoir voulu déconstruire ce mythe de la Parisienne ?

Rokhaya Diallo : Parce que c'est un mythe qui me concerne en premier lieu : je ne me reconnais pas dans cette vision perpétuée au-delà de nos frontières. Je suis née à Paris, je me sens éminemment Parisienne, mais je ne suis jamais totalement reconnue dans l'image qui en était promue. Et j'ai donc eu envie d'interroger ces clichés en allant à la rencontre d'autres personnes qui, selon moi, défiaient ce mythe.

A qui profite cette vision stéréotypée ?

R.D. : Avant tout à la marque "Paris", à la marque de "La Parisienne". Elles permettent de vendre des produits en prétendant donner des clés et des recettes à toutes les femmes du monde pour ressembler à cette prétendue "Parisienne". Cette Parisienne-là est en fait un support publicitaire qui génère énormément d'argent. C'est ce qui se cache derrière ce concept : l'idée de capitaliser, de matérialiser pour encourager la dépense.

Anlya Mustapha et Rokhaya Diallo © DACP
Dans ton documentaire, l'historienne Emmanuelle Retaillaud parle de "création masculine" pour désigner ce concept de "Parisienne". Cette figure serait-elle une énième émanation du patriarcat ?

R.D. : En tout cas, ce stéréotype de la Parisienne est lié à la domination et à la perception masculine. Elle a été fabriquée pour être toujours séduisante. C'est une figure qui a été forgée par le désir masculin.

Le cliché de la Parisienne serait donc sexiste.

R.D. : Oui, car il ne permet pas aux femmes de s'épanouir en tant que telles : il les soumet à des critères de beauté très étroits.

Cette diffusion de clichés erronés et fétichisés porte-t-elle préjudice aux Françaises ?

R.D. : Oui, car si ce cliché bénéficie à l'image touristique et aux intérêts économiques de la France, il crée une forme de pression pour les Françaises. Beaucoup de femmes ont l'impression de ne pas ressembler à ce à quoi elles devraient ressembler. Nous faisons face à des injonctions inaccessibles, ce qui n'est jamais une très bonne chose pour notre santé mentale.

Au final, le mythe de la Parisienne ne synthétiserait-il pas les injonctions faites aux femmes ?

R.D. : Tout à fait. Je pense que "La Parisienne" a été conçue comme une espèce de femme idéale selon le patriarcat : une femme qui ne grossit pas, qui ne vieillit jamais, qui peut avoir des enfants sans que cela ne la marque, qui n'est jamais contrariée. Elle saurait se contraindre sans que les efforts ne soient apparents. "La Parisienne", c'est un peu le mode d'emploi que l'on donne à toutes les femmes occidentales sur ce qu'elles devraient être.

Rokhaya Diallo et Elisa Rojas © DACP
Qu'as-tu pensé de la fameuse série Emily in Paris sur Netflix, moquée pour ses innombrables clichés ?

R.D. : Pas grand-chose de bien ! (rires) Cette série dépeint le Paris des gens qui n'y vivent pas. Je n'ai par exemple jamais vu un Paris sans aucune personne d'origine magrébine. C'est totalement caricatural : les Parisiennes sont dépeintes comme des femmes antipathiques, c'est un Paris sans métro, sans contraintes.

Je trouve dommage de continuer à entretenir l'idée d'un Paris très blanc, avec des femmes très minces, bourgeoises. Alors qu'il y a tellement d'autres femmes : des immigrées, des pauvres, des femmes de toutes morphologies qui existent et qui investissent la ville. Mais malheureusement, cette série contribue à nous invisibiliser, nous les Parisiennes qui ne correspondons pas aux clichés.

Pourquoi cherche-t-on à invisibiliser la diversité française ?

R.D. : Parce qu'on imagine- à tort- qu'elle est moins vendeuse. On lie le prestige de Paris à une carte postale, une image d'Epinal. Paris ne serait séduisante qu'à travers cette figure uniforme. Je crois au contraire que la modernité de Paris, c'est sa pluralité et qu'on aurait tout intérêt à montrer ce qu'elle est véritablement : une ville de rencontres, plurielle, dynamique.

Quand on pense à New York ou à Londres, on n'imagine pas "La Londonienne" ou "La New Yorkaise" : on a en tête des images de diversité et de pluralité. Ce n'est pas le cas de Paris et c'est bien dommage de cacher une telle ressource et de telles forces.

Vouloir briser ce cliché, c'est politique ?

R.D. : Bien sûr, à partir du moment où l'on conteste des carcans établis par le patriarcat. Affirmer des corps pluriels de femmes dans l'espace public, c'est une démarche nécessairement politique.

Les réseaux sociaux peuvent-il contribuer à renverser cette vision monolithique ?

R.D. : Il est important d'encourager les créations de contenus qui exposent Paris sous un autre angle : il faut montrer d'autres arrondissements, d'autres espaces, d'autres activités que celles que l'on associe traditionnellement à la ville. Et il est essentiel de rappeler que Paris n'est pas la France. Montrer la France dans toute sa diversité, c'est aussi une manière de déconstruire ce mythe, de dézoomer l'attention que l'on porte à Paris.

Quel objet symboliserait pour toi la Parisienne ?

R.D. : Le pass Navigo !

Quel arrondissement chéris-tu particulièrement ?

R.D. : Le 19e. C'est l'arrondissement dans lequel j'ai grandi et qui symbolise la pluralité de Paris pour moi : parce qu'il y a le Zénith avec ses concerts, le Canal, les Buttes Chaumont, Belleville et les quartiers populaires... Autant de facettes de Paris qui sont réunies en un seul arrondissement. J'adore.

La Parisienne démystifiée

Un film inédit de Rokhaya Diallo
Diffusion le 11 octobre 2021 à 22h50 sur France 3 Paris Île-de-France

Mots clés
Société sexisme News essentielles interview Stéréotypes Culture television Médias documentaire cinéma
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