Le dimanche 14 avril, la neuvième chasse aux sextoys de Wépion était organisée en Belgique. Elle comptait plus de 4800 participantes venues tenter leur chance et débusquer 800 bons pour un jouet intime, dispersés dans un champ en friche. Des Belges, des Françaises et des Hollandaises déguisées en pénis ou en bonnes soeurs, toutes armées de pelles et de pioches. Une sorte de ruée vers l'or contemporaine dans laquelle le métal précieux aurait été remplacé par le plaisir.
"Le but est de promouvoir l'émancipation de la femme pour une bonne cause", expliquait à Metro Colombe Cuvelier, organisatrice de l'événement dont 1000 € des recettes ont été reversés à l'association Endométriose Belgique ASBL. Elle soulignait aussi avec enthousiasme que les concurrent·es étaient de plus en plus nombreux·ses chaque année (200 hommes partageaient leurs rangs cette fois-ci).
L'émancipation et le sexe seraient donc de fidèles alliés ? "Le plaisir et le pouvoir vont de pair", affirme Sophie Bramly, autrice d'Un matin, j'étais féministe (éd. Kéro/Calmann-Lévy). "Si les femmes ont été bridées sexuellement, en particulier à partir du XVIIIe siècle, c'est justement pour leur ôter des pouvoirs."
Reprendre le contrôle de son corps passerait ainsi par son exploration en toute intimité. En le découvrant mais aussi en s'attaquant au tabou tenace du plaisir féminin.
Lora Haddock est la PDG de Lora DiCarlo, l'entreprise high-tech derrière Osé, le sextoy dont le prix a été retiré puis réattribué par le CES 2019. Selon elle, tant de choses contribuent au statut tabou de la sexualité féminine qu'il serait impossible de les énumérer toutes, "mais cela commence tôt - de la façon dont nos familles réagissent à la nudité et à la sexualité, jusqu'à l'éducation sexuelle dans les écoles - et ne se termine pas tant que nous ne sommes pas vraiment informé·es sur le corps des femmes."
Et cette désinformation fait des victimes, tout comme la culpabilisation des désirs qui l'accompagne, principalement lorsqu'il s'agit de la masturbation. Selon un rapport de l'American Psychological Association cité par Lora Haddock, 0 % des filles de 13 ans avouent se masturber, contre 87 % des garçons - alors que les deux genres expérimentent les mêmes changements hormonaux, au même âge.
"Les garçons parlent de masturbation entre eux et les filles ne l'admettent même pas dans une enquête totalement anonyme", déplore-t-elle. "Il y a une honte et une culpabilité tacites associées à la sexualité des femmes et cela commence par le fait qu'on ne reconnaît même pas son existence".
En se servant d'un sextoy pour se faire du bien, on adresse donc un message fort qui va au-delà du fait d'assumer prendre son pied. On le fait seule, sans partenaire, et surtout sans émotions. Le plaisir féminin n'est plus uniquement lié à un cliché archaïque qui veut que les femmes aient systématiquement besoin de sentiments pour jouir. C'est un signe véritable d'indépendance.
"Le sextoy joue aujourd'hui un double rôle : il assure à la femme un orgasme en toutes circonstances, et lorsqu'elle revendique son usage, elle affirme sa puissance sexuelle", ajoute Sophie Bramly. "Des études ont montré que [le pouvoir] est un puissant stimulant sexuel, mais l'inverse est vrai : plus une personne s'autorisera à s'épanouir sexuellement, plus son pouvoir s'étendra."
Si nos mains auraient aussi pu faire l'affaire, l'outil technologique a des atouts bien particuliers : "Bien que les chiffres s'améliorent depuis une dizaine d'années, la masturbation reste un sujet complexe pour un certain nombre de femmes, qui trouvent parfois plus facile d'avoir un objet entre leur corps et elles, ce qui les dispense à la fois de toucher leurs organes génitaux et d'avoir à fantasmer pour parvenir à l'orgasme", poursuit l'autrice. "La machine fait le travail, il y a une petite mise à distance."
Pour l'entrepreneuse Lora Haddock, il s'agit également d'une question de représentation et d'égalité : "Il y a tellement de place pour le changement au sein de la technologie et de la société en général, et les gens veulent se voir davantage représentés dans les produits qu'ils utilisent et les marques qu'ils voient chaque jour", confie-t-elle.
En tant que femme, elle avoue ainsi que se faire une place dans l'industrie du sextoy et oeuvrer à créer des objets pensés pour des personnes avec un vagin, par des personnes avec un vagin est "la seule façon d'assurer une distribution équitable des produits destinés aux femmes."
Aujourd'hui, le marché du sextoy pèserait 22 milliards de dollars, selon Kantar Media, et connaîtrait une croissance annuelle de 10 %. Des chiffres astronomiques qui témoignent de la libération de la sexualité féminine et surtout, y contribuent grâce un panel de produits ultra-diversifiés qui s'attellent à satisfaire chacune d'entre nous quelle que soit notre morphologie.
"Sans doute y a-t-il aujourd'hui comme un cercle vertueux", conclut Sophie Bramly. "Plus les sextoys sont exposés, plus les femmes se sentent autorisées à en avoir, plus l'usage se banalise, plus les ventes grimpent, plus le plaisir féminin se libère ouvertement".