Alors que l'heure est à la sobriété énergétique, plusieurs villes ont annoncé leur intention de baisser ou de stopper l'éclairage public (lampadaires, affiches publicitaires, vitrines et lumières des bureaux) à certains endroits pour faire des économies. "On va d'abord essayer de faire attention collectivement, le soir, aux éclairages, quand ils sont inutiles", avait notamment demandé le président Emmanuel Macron dans une interview datant du 14 juillet.
Les lumières des bureaux et des commerces ou encore les écrans publicitaires numériques, voire l'éclairage municipal sont souvent évoqués comme des exemples de sources de consommation électrique dont on pourrait se passer, d'un point de vue écologique et économique.
L'éclairage public représente en effet plus d'un tiers des dépenses d'électricité des collectivités territoriales, mentionne le site d'EDF. Des villes comme Lyon, Strasbourg, Nice ou encore Clermont-Ferrand ont ainsi annoncé qu'elles stopperaient ou réduiraient l'éclairage public une partie de la nuit.
Mais les municipalités qui ont décidé de stopper ou de réduire l'éclairage public ont-elles consulté les usagers et les usagères ? Si l'éclairage urbain est coûteux, il est "également l'un des facteurs majeurs de confort et de sécurité pour les habitants", indique EDF. De telles décisions à l'approche de l'hiver et de la nuit précoce ne risquent pas de rassurer les passant·e·s, notamment les femmes.
"En tant que patronne de bar, je vois des clientes partir parfois seules parce qu'elles n'ont pas d'autres moyens, ça me fait un peu peur effectivement", témoigne une Clermontoise auprès de TF1.
A Paris, l'éclairage de certains bâtiments publics est aussi visé par la maire Anne Hidalgo. Charlotte, qui témoigne pour Terrafemina et vit dans la capitale, se questionne quant aux conséquences de ces mesures. "Comment on fait pour rentrer chez nous ? Je n'ai pas du tout envie de me retrouver plongée dans le noir, je ne me sens pas en sécurité. Maintenant, on a peur aussi des VTC (un chauffeur Uber et Heetch a notamment été récemment accusé de tentative d'enlèvement et d'agressions sexuelles- ndlr), ça devient compliqué de rentrer chez soi".
Ces annonces ont été faites alors que l'existence de ce sentiment d'insécurité chez les femmes, notamment la nuit, est connu depuis longtemps déjà. Une vaste enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), rapportait ainsi au début des années 2000 que la moitié des femmes interrogées "expriment des craintes à l'idée de sortir seule la nuit". Un phénomène que la sociologue Marylène Lieber a largement étudié, évoquant un phénomène de "peur sexuée" qui a pour conséquence la mise en place d'un "couvre-feu virtuel".
"En tant que femme, passée une certaine heure, je ne me sens pas du tout à l'aise de marcher dans la rue", confirme Charlotte.
"Le sentiment d'insécurité détermine en grande partie les pratiques des femmes dans les espaces publics", explique Sarah Jean-Jacques, chercheuse en sociologie et géographie sociale, spécialiste des questions de genre et de sexualité, interrogée par Terrafemina. "A partir d'une certaine heure, soit les femmes ne vont pas sortir, soit elles ne vont pas sortir seules. Elles vont prendre des précautions pour éviter d'être confrontées à des agressions. La crainte du viol en particulier est alimentée par un ensemble de rappels à l'ordre au quotidien, comme le harcèlement dans les lieux publics, qui contribue à l'hyper vigilance et à ce sentiment de peur dans certains contextes, en particulier la nuit".
De fait, les femmes mettent souvent en place des stratégies de contournement de potentiels dangers : éviter certaines rues ou certains transports en commun, modifier leur itinéraire, rester dormir chez des amis ou rentrer accompagnée... Une charge mentale supplémentaire dont elles se passeraient volontiers. "On se retrouve à devoir réfléchir à ce qu'on fait, dans quel quartier on va, jusqu'à quelle heure on peut rentrer en métro, ou s'il y aura quelqu'un pour nous raccompagner... Ce n'est vraiment pas normal de vivre comme ça", se désole Charlotte.
Alors, comment lutter contre ce sentiment d'insécurité ? "La ville est faite et pensée par les hommes et la socialisation à la ville est différenciée. ll faudrait plutôt travailler sur la manière dont on intègre les femmes à la ville", estime Sarah Jean-Jacques.
Le sentiment d'insécurité se prévient aussi en amont : "S'il y avait davantage de femmes sensibilisées aux questions d'urbanisme, de géographie et aux politiques de la ville, qui ont cette posture-là et cet objectif-là, cela permettrait de laisser les expertes mettre en place des projets qui favorisent une meilleure inclusion des femmes dans les villes", préconise aussi l'experte.
Continuer à sortir ou rester chez soi ? Certaines ont déjà tranché : cet hiver, pas question de sortir faire du sport dans le noir. Selon une enquête réalisé par l'équipementier sportif britannique Sports Direct, elles seraient ainsi 56% à cesser de faire du sport en hiver, 71% à déclarer qu'il est difficile de trouver des itinéraires suffisamment éclairés pour courir en extérieur et 44% à affirmer qu'elles ne se sentiraient tout simplement pas en sécurité pour courir dehors pendant la période hivernale. Triste.