C'est l'une des plus grandes tragédies de la fin du siècle dernier. En 20 ans, plus de deux millions de Soudanais ont trouvé la mort dans la plus longue guerre civile que le monde ait connu. Le conflit, qui opposait l'Armée populaire de libération du Soudan (APLS) au gouvernement central, a obligé des millions de civils à abandonner leur terre pour échapper à une mort certaine. Parmi eux, 20 000 enfants, âgés de 7 à 17 ans et séparés de leur famille, souvent massacrée.
Ceux qu'on appelle les "Lost boys" ont tout connu : la fuite sous les balles pendant la guerre civile, les centaines de kilomètres parcourus à pieds en évitant les milices, les bombardiers ou les lions, la maladie, la famine... En échappant aux assaillants, ces orphelins miraculés ont passé la majeure partie de leur vie sur les routes de l'exil ou dans les camps de réfugiés de l'Ethiopie et du Nord du Kenya.
En 2000, face à la persistance du conflit dans le sud du Soudan, les Nations Unis ont jugé que le rapatriement et l'éventuelle réunification de ces réfugiés avec leurs familles n'était plus une option. 4000 de ces "enfants perdus" ont ainsi pu rejoindre les Etats-Unis, profitant d'un climat de paix et de liberté, et recevant une éducation. Des centaines de Soudanais ont ainsi débarqué dans le pays avec l'aide d'associations comme l'International Rescue Committee, répartissant les jeunes garçons entre Atlanta, Boston, Dallas, Phoenix, Salt Lake City, San Diego ou encore Seattle.
A la recherche d'une formation ou d'un emploi, ces milliers de "lost boys" ont fini par s'adapter à leur nouvelle vie américaine. Leur histoire a même inspiré le film The Good Lie, réalisé par Phlippe Falardeau avec Reese Witherspoon (sorti ce 19 août 2015 en DVD) et retraçant le parcours de quatre orphelins rescapés de leur village soudanais.
Ce long-métrage paraîtrait étonnamment familier à Peter Magai Bul. A 7 ans, le Soudanais a parcouru des centaines de kilomètres à pieds dans son pays d'origine avant de finalement trouver un camp de réfugiés. "Il n'y avait pas de nourriture et les gens mouraient à cause des maladies", se souvient l'homme aujourd'hui âgé de 34 ans. Désormais établi à Chicago, Peter Magai Bul s'occupe du centre communautaire du Soudan du Sud dans la ville de l'Illinois.
Sa mission première ? "Eduquer les Américains sur la situation au Sud-Soudan, l'un des pays les moins développés du monde, détruit par la guerre civile et la violence", nous précise le site DNAinfo qui l'a interviewé. Le 9 juillet dernier marquait le quatrième anniversaire de l'indépendance du Soudan du Sud, séparé du Soudan depuis 2011. Si à l'époque Peter Magai Bul et d'autres réfugiés avaient organisé une grande célébration pour l'occasion, le coeur n'est pas à la fête cette année.
"Lorsqu'il y a la guerre dans votre pays, et que des gens meurent - des millers de gens - ce n'est pas une bonne année pour célébrer l'indépendance", déclare l'ancien "lost boy". Depuis décembre 2013, le Soudan du Sud a en effet sombré dans une nouvelle guerre civile sanglante entre partisans du président Salva Kiir et ceux du vice-président Riek Machar. L'APLS, qui a lancé en avril dernier une vaste offensive contre les forces rebelles, se serait livrée à des actes d'une rare violence contre les populations de l'Etat de l'Unité, au nord du pays.
"Nous sommes en train de détruire notre nation sans raison", regrette Peter Magai Bul. Une vision que partagent d'autres anciens "lost boys", rentrés eux dans le sud du Soudan pour mener des projets concrets de reconstruction et d'aide humanitaire, malgré le conflit. Motivés en raison des injustices dont ils ont été témoins dès leur plus jeune âge, ces hommes tentent désormais de créer des écoles, des puits et dispenser des soins médicaux dans les villages qu'ils avaient fuis en 1987.
"Ils ont vécu en Ethiopie, au Kenya et aux Etats-Unis, et ils ont compris que quelque chose ne tournait pas rond au Sud-Soudan", expliquait au Global Post en 2010 Franco Majok, 47 ans, un ancien réfugié soudanais qui a construit une école dans son village, Wunlang.
Mais les conditions de travail restent malgré tout difficiles dans un territoire où l'histoire se répète. Le conflit qui a éclaté en 2013 a déjà jeté sur les routes de nouveaux enfants perdus. "Des centaines d'enfants non accompagnés sont en train de quitter une région rebelle et isolée du Soudan, fuyant de récents assauts aériens et la menace de la famine", écrit ainsi le New York Times qui constate que "les enfants répètent un des chapitres les plus sordides de l'histoire soudanaise : la dangereuse fuite des prétendus 'Lost boys' ". La preuve la plus criante que malgré l'indépendance, et la scission entre nord et sud, la région est loin d'être pacifiée et s'enfonce chaque jour un peu plus dans des violences qui déciment sa population et font fuir sa jeunesse.