On l'avait quittée quelques semaines avant le premier confinement. Lorsque nous avions rencontré Suzane au printemps 2020, elle flottait encore sur son petit nuage après avoir remporté la Victoire de la "Révélation scène". Depuis, le monde a basculé dans une pandémie interminable et Suzane est redevenue Océane. Exit sa "combi de combat" : la chanteuse a décidé de se débarrasser de ses oripeaux et de livrer ses essentiels.
Avec son deuxième album Caméo, elle donne de la voix pour les causes qui lui enserrent le coeur. Des thématiques très politiques lovées derrière la légèreté de ses mélodies ludiques et electropop. "M'engager et me mettre en action, ce sont des choses qui font partie de ma personnalité", nous dit-elle. Féministe et écolo convaincue, Suzane a le cafard mais elle va mieux en le chantant.
Suzane : On dirait, oui. Il faut souvent un peu de temps pour digérer les choses que l'on a vécues. Il y a eu beaucoup de changements dans ma vie artistique et personnelle... Et puis cette épidémie de Covid nous a frappé de plein fouet et nous a laissé avec plein de questions. J'avais pas mal de choses à raconter dans ce deuxième album.
S. : Cette mise à nu arrive au moment où je suis prête. Je pense qu'il y a 4 ans, j'avais très peur de ce qui allait m'arriver et ce look m'a permis de m'émanciper, de sortir de ma zone de confort. Grâce au regard bienveillant du public, j'ai eu l'impression d'être une chenille qui devient un papillon, j'ai amorcé une espèce de mue. J'ai pris confiance, je me sens un peu mieux dans mes pompes.
La combi, je ne l'ai pas enlevée du jour au lendemain. J'ai passé le premier confinement chez mes parents qui m'appellent Océane. Je suis quelque part retournée aux sources et à l'essentiel. Et ça m'a permis aussi de ne pas me perdre. Ce deuxième album, c'est une carte d'identité que je pose sur la table, notamment avec ce premier morceau, Océane.
S. : Tout a été vite. J'ai travaillé pour réussir et j'en avais rêvé toute ma vie. J'ai rencontré des gens, j'ai signé mes premiers contrats, j'ai commencé à répondre à des questions devant les caméras. Ce sont des choses qui ne sont pas vraiment naturelles et il a fallu que je me resituer là-dedans.
On m'a parfois demandé d'effacer Océane, la petite provinciale qui avait un accent du sud. Pour savoir où j'allais, il a fallu que je sache d'où je venais : je viens de la classe moyenne et je n'étais pas censée être dans la télé, mais la regarder. Tout ça, j'avais besoin de le raconter.
S. : Oui ! Dans cet album, j'ai écrit sur la toxicité d'une relation, mais aussi une chanson dédiée à ma compagne, Vista Sul Mare. Je raconte l'amour parce que je le vis comme ça, avec une femme. Pourquoi est-ce que je le travestirais ? Je n'ai pas envie de changer les pronoms pour que ces chansons-là soient écoutées par le plus grand nombre dans cette société hétéronormée.
Mes petites chansons pour lesbiennes sont pour tout le monde : j'y parle juste d'amour et cela devrait être banal. Et c'est chouette que certaines personnes puissent s'y reconnaître plus précisément si elles vivent la même chose que moi. Moi, je sais que j'ai justement manqué de ces chansons-là.
S. : C'est une chanson qui me tenait à coeur et c'est pour cela que je l'ai sortie en premier. J'ai trouvé dommage qu'on la reduise à une simple chanson sur la masturbation féminine alors que j'y parle surtout de plaisir féminin, de la liberté à disposer de nos corps, de l'objectification de la femme nue, de sa sexualisation.
Lorsqu'une femme parle de son propre plaisir, on la censure. Ca fait super peur à des gens, à l'algorithme YouTube et pourtant, on est en 2022. C'est atterrant. En revanche, on peut entendre des choses atroces genre "Jte laisse la chatte en confiture" (chanson du rappeur Vald- Ndlr) dans certains titres d'artistes masculins et ça passe sans problème. Notre société est totalement incohérente.
S. : Cette fille du 4e, elle a existé. C'est une histoire vraie et j'ai voulu écrire sur cette femme. Lorsque je suis arrivée à Paris, j'habitais dans le 20e arrondissement, dans un immeuble où on entendait tout. Et au-dessous de chez moi, j'entendais ces bruits sourds, qui me glaçaient. J'ai passé deux ans à poser mon oreille contre le parquet parce que je ressentais qu'il y avait de la violence. J'avais raison de m'inquiéter : cette femme est un jour ressortie en sang, le visage tuméfiée avec son mari qui lui courait après. J'ai appelé les flics plusieurs fois, ils sont intervenus, mais "tout allait bien" et la porte se refermait à chaque fois sur cette violence.
depuis, j'ai déménagé mais j'ai continué à penser à cette femme. C'est comme si j'avais laissé quelqu'un en mode "non-assistance à personne en danger". Cela me hante. Je me demande souvent si elle est encore en vie. C'est une chanson que j'ai eu peur d'écrire. Mais c'était urgent pour moi.
S. : Mouais... J'étais contente quand la parole a commencé à se libérer. Mais cette parole est-elle vraiment entendue et écoutée ? Quand je vois Nicolas Hulot ou PPDA, accusés de viols et d'agressions sexuelles, qui se baladent tranquillement à l'heure actuelle alors que leurs victimes présumées ont parlé... Les lois ne bougent pas assez.
OK, il y a un travail de fond qui commence à payer notamment sur ces phrases qui ne passent plus, mais il y a toujours ces anti-IVG, les féminicides, l'inégalité salariale... Il reste encore beaucoup de combats à mener. Tant que les femmes ne seront pas en sécurité, #MeToo n'aura servi à rien.
S. : Oui, je suis déprimée mais j'ai encore un peu d'espoir. La pandémie, la guerre en Ukraine, les violences faites aux femmes... Je suis trop sensible et je sature. Aujourd'hui, j'ai très peur de l'avenir. Dans quel monde va-t-on vivre ? Est-ce qu'on y fait des enfants ? Est-ce qu'on peut y trouver notre place ? Heureusement, mes chansons me servent de thérapie, sinon, je ne me lèverais pas le matin.
S. : Oui, mais à chaque fois que je chanterais cette chanson face à des gens qui y croiront tout autant que moi, sur le moment, ça nous fera du bien. La méthode Coué, parfois, ça marche.