Société
"Liberté d'importuner" : la réponse cinglante des féministes à la tribune du "Monde"
Publié le 10 janvier 2018 à 12:43
Par Charlotte Arce | Journaliste
Dans une tribune publiée mardi dans "Le Monde", une centaine de femmes défendait "la liberté d'importuner" des hommes contre ce qu'elles considèrent être un retour au puritanisme, égratignant au passage les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc. Ce mercredi, des militantes féministes emmenées par Caroline De Haas leur ont répondu sur FranceInfo.
"Liberté d'importuner" : des féministes répondent à la tribune anti-MeToo du Monde "Liberté d'importuner" : des féministes répondent à la tribune anti-MeToo du Monde© Getty Images
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Le fameux "backlash" (retour de bâton) dont parlait la féministe Susan Faludi dans son best-seller éponyme est bien là. Trois mois après les débuts de l'affaire Weinstein, et alors que partout dans le monde, les voix des femmes s'élèvent pour dire stop aux violences sexistes et sexuelles qu'elles subissent depuis des décennies, la vieille garde, celle qui dénonce "un certain féminisme" qui exprimerait une "haine des hommes" et entraverait la liberté sexuelle, se réveille.

Cette vieille garde s'est même exprimée bruyamment dans une tribune parue mardi 9 janvier dans Le Monde. Le plus étonnant, c'est que cette celle-ci n'est pas le fait d'hommes réacs à la Éric Zemmour, mais de femmes. Co-signée par une centaine d'entre elles, parmi lesquelles l'actrice Catherine Deneuve, les journalistes Elisabeth Levy et Peggy Sastre, l'écrivaine Catherine Millet et la comédienne Catherine Robbe-Grillet, cette tribune rejette le mouvement de libération de la parole qui s'est amorcée ces derniers mois, et qui est considéré comme du puritanisme. "#MeToo a entraîné dans la presse et sur les réseaux sociaux une campagne de délations et de mises en accusation publiques d'individus qui, sans qu'on leur laisse la possibilité ni de répondre ni de se défendre, ont été mis exactement sur le même plan que des agresseurs sexuels", écrivent les signataires, sous-entendant ainsi qu'un homme qui nous met la main aux fesses dans le métro, nous "vole un baiser" ou nous envoie sans notre consentement des messages à caractère sexuel explicite ne commet aucun délit et ne fait que jouir d'une saine liberté, celle "d'importuner".

Non seulement "cette fièvre à envoyer les 'porcs' à l'abattoir" empêcherait les femmes de "s'autonomiser", affirment Catherine Deneuve et consorts, mais elle servirait "les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires". Comme si dénoncer la culture du viol, les violences sexistes et sexuelles, le refus d'entendre le consentement au motif que c'est la "nature" de l'homme que de "séduire", relevait de la bigoterie.

"En tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui, au-delà de la dénonciation des abus de pouvoir, prend le visage d'une haine des hommes et de la sexualité. Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d'importuner. Et nous considérons qu'il faut savoir répondre à cette liberté d'importuner autrement qu'en s'enfermant dans le rôle de la proie", écrivent-elles encore.

Un amalgame délibéré entre séduction et violence

La réponse des femmes fustigeant cette "liberté d'importuner", militantes féministes ou non, ne s'est pas fait attendre.

Sur Twitter, nombreuses ont été celles à dénoncer l'amalgame douteux que font les signataires de la tribune entre la séduction et ce qui relève clairement du harcèlement. Elles déplorent aussi que la prise de parole des femmes, enfin entendues quand elles dénoncent les violences qu'elles subissent au quotidien, soit considérée comme une "chasse aux sorcières" révélatrice d'une "haine anti-hommes".

Pour Caroline de Haas, cette volonté d'excuser, voire de cautionner les actes répréhensibles de ces hommes confond au mépris des victimes. Dans une tribune publiée ce mercredi 10 janvier sur le site de France Info, la militante féministe, accompagnée d'une trentaine d'autres signataires (l'association Stop Harcèlement de Rue, la fondatrice de Paye ta Shnek Anaïs Bourdet, les journalistes Lauren Bastide et Giulia Foïs, ou encore la psychiatre Muriel Salmona) dénoncent l'amalgame délibéré qui est fait entre "un rapport de séduction, basé sur le respect et le plaisir, avec une violence".

"Beaucoup d'entre elles sont souvent promptes à dénoncer le sexisme quand il émane des hommes des quartiers populaires. Mais la main au cul, quand elle est exercée par des hommes de leur milieu, relève selon elles du 'droit d'importuner'. Cette drôle d'ambivalence permettra d'apprécier leur attachement au féminisme dont elles se réclament", poursuivent les militantes féministes. "Avec ce texte, elles essayent de refermer la chape de plomb que nous avons commencé à soulever. Elles n'y arriveront pas. Nous sommes des victimes de violences. Nous n'avons pas honte. Nous sommes debout. Fortes. Enthousiastes. Déterminées. Nous allons en finir avec les violences sexistes et sexuelles."

Mots clés
Société droits des femmes Violences sexisme Harcèlement sexuel Agression sexuelle News essentielles
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