Société
Tunisie : une habitante de Tunis raconte
Publié le 14 janvier 2011 à 10:05
Par Marine Deffrennes
La Tunisie, secouée depuis un mois par un vent de contestation remettant en question le pouvoir du président Ben Ali, a connu jeudi une nouvelle journée de violence dans la capitale, Tunis, et d’autres villes du pays. Amel, Franco-Tunisienne de 31 ans, vit à Tunis depuis 4 ans. Jointe par téléphone, elle nous décrit son quotidien depuis le début de l’explosion de la colère d’un peuple assoiffé de liberté.
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Le chef d’Etat Ben Ali s’est exprimé hier soir et a promis de ne pas briguer un nouveau mandat en 2014, et de libéraliser le système politique. En commençant son discours par « je vous ai compris », il a cherché à montrer sa bonne volonté en annonçant la liberté de l’information sur Internet, et la fin de la répression à balles réelles. Amel nous a parlé juste avant cette intervention.

Terrafemina : Vous vivez dans la banlieue proche de Tunis, dans un quartier réputé tranquille, les manifestations sont-elles arrivées jusqu’à vous ?

Amel : Depuis jeudi matin oui, je me sens en danger, l’armée est partout dans la ville. Mon quartier est bouclé par la Police. Quand j’ai voulu sortir de chez moi vers 15h, pour faire passer une amie par un raccourci, mes voisins m’ont empêchée d’y aller. Il est 18h, je suis dans mon appartement, et j’entends la foule approcher, il y a des bruits de casse. C’est vraiment le chaos dans toute la ville. Je ne suis pas tranquille du tout.

TF : Comment vivez-vous depuis le début des manifestations ?

A : Ca fait trois jours que je ressens vraiment la tension monter. Il y a eu des morts et des dégâts de plus en plus importants. Mercredi, un supermarché a été incendié à Hammamet. Au début la violence restait confinée dans le centre-ville, mais maintenant elle gagne toute la Tunisie. Les manifestants n’ont aucune intention de s’arrêter et les autorités non plus : ils tirent maintenant avec des balles réelles. Mercredi soir, j’ai dormi chez une amie à cause du couvre-feu, je ne voulais pas être coincée toute seule chez moi, mais ce soir j’espère ne pas rester seule.

TF : Pouvez-vous continuer à travailler ?

A : Quand on sort le matin on a l’impression que tout va bien, et puis tout à coup on tombe sur une banque incendiée au coin de la rue. Depuis deux jours on ne travaille pas vraiment. Je suis employée dans une chaîne de télévision privée, et nos programmes sont altérés. Nous ne parlons pas de ce qu’il se passe car nous ne sommes pas une chaîne d’info, et ce serait très mal vu par le pouvoir. Mais des reportages et témoignages vont peut-être s’imposer si ça continue.

TF : Est-ce que vous parvenez à vous informer ?

A : Depuis un mois la source d’information pour les Tunisiens c’est Facebook et Twitter. Les médias locaux ne relaient les évènements que depuis mercredi après-midi. La télévision minimise le nombre de tués, on entend beaucoup de rumeurs. Des reporters d’Euronews sont arrivés mercredi alors on regarde Euronews. Mais il faut faire le tri de tout ce qu’on entend.

TF : Est-ce que tout le pays est solidaire avec les revendications des manifestants ?

A : En tout cas dans la rue les gens se sont mis à parler, et pour la première fois les gens osent se plaindre et citer le nom du Président Ben Ali et de sa famille. Pour la première fois des banderoles sont brûlées et les gens hurlent son nom comme un meurtrier. Des personnalités ont pris position à la radio. Moi je parle mais je ne l’aurais pas fait il y a une semaine, mais aujourd’hui c’est différent, nous sommes plus nombreux.

TF : Qu’attendez-vous comme réaction de la part du pouvoir ?

A : J’espère que le Président va démissionner, et je pense que c’est ce que tout le monde attend. J’ai eu beaucoup de mes amis au téléphone, nous ne faisons pas partie de ceux qui descendent dans la rue pour jeter des pierres, mais nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut que ça change. On ne peut plus revenir en arrière, on est allés trop loin dans la liberté d’expression. Quelque chose a explosé. Mais nous sommes très étonnés des violences, tant du côté des manifestants, dépeints comme des casseurs par la propagande, que du côté de la milice. On ne sait pas qui est vraiment responsable.

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