5 à 17 % des femmes sont concernées par le vaginisme, selon l'étude réalisée par la sage-femme sexologue Lenaig Serazin-Orsini ("Vaginisme, prise en charge et accompagnement par la sage-femme"). "Un chiffre probablement sous-estimé, quand on sait tous les tabous liés à la sexualité", commente Mame Ndanty Badiane, thérapeute et coach certifiée. Et de constater : "Dans notre société, les valeurs et les principes sont encore très archaïques, et les femmes peinent à trouver une écoute attentive."
Pourtant, l'impact sur leur vie est réel, affirme encore l'experte. Alors, pour venir à bout du tabou et de la condition en elle-même, elle publie son ouvrage, une source précieuse d'informations et de solutions baptisée Je guéris du vaginisme, c'est parti ! (ed. Jouvence). Des connaissances qu'elle tire de son propre vécu, et de sa volonté d'apprendre pour aider les autres.
Afin de passer le mot sur ce sujet essentiel, Mame Ndanty Badiane se confie et décortique ce sujet pour nous. Echange.
Mame Ndanty Badiane : Je n'avais jamais entendu parler de ce mot avant d'être diagnostiquée. C'est mon médecin traitant qui m'en a parlé en premier. Je me suis mariée à 27 ans, j'ai grandi dans une famille très conservatrice où il n'y avait pas de place pour la sexualité. Je n'ai jamais entendu de discours positif à ce sujet. Tout ce qu'on me disait, c'était que ce n'était pas bien, que ça faisait mal. Et cela a contribué au vaginisme. Des réflexions comme celles-ci, on a l'impression que ce ne sont que des mots, mais cela nous affecte. Pour ma part, cela s'est transformé en peurs cristallisées dans mon corps.
Le jour de ma première fois, tout cela est ressorti. J'étais angoissée, bloquée, impossible pour mon conjoint de me pénétrer, mes jambes se resserraient, se crispaient. Dans ma tête, une crainte profonde se jouait : "Si je me laisse pénétrer, je vais mourir". Alors même que j'avais profondément envie de ça avec mon mari. C'est un mariage d'amour, physiologiquement je mouillais, j'avais du désir. Tout mon corps était prêt, mais quelque chose bloquait.
Certaines personnes pensent que c'est de la "frigidité" ou le signe d'un rapport forcé, alors que pas du tout. Dans la plupart des cas du vaginisme, on a envie de ce rapport mais notre corps le refuse. C'est beaucoup de frustration et le quotidien de millions de femmes dans le monde.
M. N. B. : On parle d'une femme sur cent, mais avec l'expérience que j'ai, je pense que la proportion de personnes concernées est beaucoup plus élevée. Nombreuses d'entre elles ne vont pas consulter, ne se déclarent pas.
Dans mon cas, le médecin m'a dit, sans rien m'expliquer, sans me donner aucune information : "Ca doit être du vaginisme". C'est comme si le ciel me tombait sur la tête. A l'époque, je suis allée directement sur Internet et là j'ai découvert des symptômes et des témoignages dans lesquels je me retrouvais complètement. Cela m'a permis de me persuader que je voulais trouver une solution.
M. N. B. : Il y a plusieurs causes qui peuvent varier en fonction de chaque femme. Au cours de mes recherches et de mes échanges, j'ai défini 3 grandes causes que l'on retrouve souvent.
La première, la méconnaissance de son corps. Il y a énormément de femmes, même jusqu'à 40 ans ou plus tard, qui ne connaissent pas leur parties intimes, leur anatomie. Elles ne connaissent ni leur périnée, ni leur vulve, ni leur vagin. Est-il un muscle, comment fonctionne-t-il, à quoi ressemble-t-il ? J'étais dans ce cas-là pendant longtemps. Pour moi, mon vagin n'existait pas, c'était un petit trou noir, je l'avais complètement zappé. C'est dû à l'éducation stricte que j'ai reçue, au fait qu'on m'ait dit "attention, c'est mal" : mon cerveau a occulté l'information.
La deuxième, les croyances limitantes qu'on a sur la sexualité et le plaisir. Le fait que l'on nous inculque, dans un contexte familial souvent, que le sexe est sale, que ce n'est pas bien, que c'est pour les filles de joie. Si une femme a des croyances négatives, elle ne va pas être à l'aise dans sa sexualité car ces croyances sont bloquantes. Elles nous limitent dans notre plein épanouissement.
Le travail va être de définir ces injonctions et de les déconstruire. C'est quelque chose que j'ai remarqué chez de nombreuses personnes concernées. Moi, je l'ai vécu personnellement par rapport à la masturbation par exemple. A 21 ans, je découvrais mon corps et mes zones érogènes. Et en même temps de me donner du plaisir, l'acte me faisait culpabiliser car on m'a appris, encore une fois, que c'était mal. Je dénonce aussi le double standard patriarcal sur le sujet : les filles sont culpabilisées lorsqu'elles se masturbent, tandis que pour les garçons, le geste est considéré comme normal.
La troisième, dont j'ai aussi souffert, est d'avoir été victime de violences sexuelles. Quand j'avais 8 ans, un homme de l'âge de mon père venait à la maison nous donner des cours. Pendant des années, il mettait ses doigts dans notre culotte à mes soeurs et moi. Dès que je le voyais, je serrais mes cuisses, je bloquais pour ne pas qu'il s'introduise en moi. Et ce réflexe est resté alors même que je voulais faire l'amour avec mon mari.
Toutes ces formes de violences sur le corps des femmes créent plus tard des dysfonctionnements sexuels comme le vaginisme, mais pas seulement. Le corps mémorise tout et à chaque rapport sexuel, toutes mes peurs et mes émotions refoulées se réactivaient. J'avais l'impression de revivre les agressions que j'avais subies.
M. N. B. : Il y a plusieurs solutions. Je dis toujours aux femmes de s'écouter. La libération de la parole est également un outil très efficace. Quand j'ai commencé à en parler, les choses ont changé. Pendant longtemps, je l'ai vécu comme une honte et je n'en parlais à personne. Je disais à mon mari de surtout garder le secret. Mais la honte doit changer de camp. Nous sommes déjà victimes, et en plus on a honte ? Non, il n'y a pas à avoir honte d'avoir du vaginisme.
Seulement, quand on se confie, cela doit être auprès de quelqu'un·e qui a une écoute active et bienveillante, et surtout pas auprès de quelqu'un·e qui viendrait nous juger. Une personne qui saura nous comprendre, et nous guider vers des solutions. Ensuite, il y a tout un travail sur soi. Le vaginisme est un signal d'alerte du corps, il nous prévient que des choses à l'intérieur de soi ont besoin d'être guéries, apaisées, harmonisées. Des blessures du passé non réglées, un manque de confiance en soi énorme, un rapport à son corps ou à sa féminité qui n'est pas sain. Il y a tout ce travail, c'est en tout cas celui-là que je propose aux femmes, à entreprendre.
Il faut mettre de l'amour. Quand on met de l'amour là où il y a eu de la peur, on guérit. C'est un mantra que j'avais dans ma tête qui m'a poussée à m'aimer plus, à prendre soin de moi, à me chouchouter, à devenir la personne la plus importante pour moi. S'écouter est essentiel, encore une fois. Tout ce travail, il faut le faire à son rythme. J'aime que les femmes puissent avancer en toute autonomie, en étant accompagnées bien sûr d'un·e thérapeute par exemple, mais qui les écoute et maîtrise ce sujet.
M. N. B. : On entend des phrases du genre "tu es trop chochotte", "si tu ne guéris pas, il va te quitter". Ou encore "vous avez besoin d'une crème", "prenez un bain", "c'est dans votre tête il faut vous détendre", "il faut lâcher prise". Des discours très culpabilisants que je ne supporte plus. Cela perpétue l'idée que c'est de la faute de la femme, et non de l'ordre de quelque chose de plus profond ou d'un trauma. Elle serait le problème.
Alors qu'elle n'a aucun besoin d'être tenue pour responsable de ce qui lui arrive, mais au contraire, et je le répète, d'une écoute et d'un accompagnement bienveillants. C'est uniquement ainsi qu'elle pourra avancer.
Je guéris du vaginisme, c'est parti !, de Mame Ndanty Badiane. Ed. Jouvence. 128 p. 8,90 euros.