En 2018, le Haut Conseil à l'Egalité dévoilait un rapport glaçant sur les actes sexistes durant le suivi gynécologue et obstétrical. De nombreuses femmes y révélaient la maltraitance dont elles avaient été victimes de la part de certain·es membres du corps médical. La même année, on découvrait dans une vidéo réalisée par Konbini le témoignage de plusieurs d'entre elles. On entendait, parfois pour la première fois, le terme "point du mari", qui décrit le fait de recoudre la déchirure d'une femme un point plus serré, afin que le plaisir de l'homme soit renforcé. Et la réalisatrice Ovidie a consacré un documentaire saisissant à ces violences obstétricales en 2019.
Si Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne et médecin-cheffe de la Maison des femmes de Saint-Denis (qui oeuvre à la protection des femmes victimes de violences), avoue n'avoir jamais eu affaire à une telle pratique au cours de ses 40 ans de carrière, elle souhaite cependant que les médecins se remettent en question. Objectif : que ces violences, physiques ou psychologiques, ne se reproduisent plus. Elle a donc fait appel au réalisateur Nils Tavernier, avec qui elle avait déjà collaboré sur Elles ont toute une histoire, pour réfléchir à une façon de "rétablir la communication entre le personnel soignant et les patientes", nous confie-t-elle. "Ouvrir le dialogue autant que possible".
Elle explique que la médiation est la clé : "Lorsque les femmes sont remontées, c'est souvent qu'on ne leur a rien expliqué", admet-elle. "Il faut que les jeunes médecins comprennent que leurs attitudes, leurs mots, vont au-delà de ce qu'ils pensent. Je me rappelle étant jeune, quand j'annonçais à une femme qu'elle avait fait une fausse couche, pour moi, c'était trois cellules, pour elle, c'était un enfant qu'elle venait de perdre. Le décalage est énorme, et il est nécessaire d'en avoir conscience, en tant que personnel soignant".
Avec Nils Tavernier, la Maison des femmes et le CEGORIF (Cercle des gynécologues-obstétriciens d'Ile-de-France) signent ainsi trois courts métrages qui dépeignent trois consultations, et mettent justement en lumière la violence qu'un comportement, une phrase peut infliger aux patientes. Une série de trois épisodes baptisée Et si on s'écoutait, destinée au personnel soignant - elle sera diffusée dans une école de sage-femmes notamment ou lors de colloques - mais aussi au public.
On suit d'abord une jeune femme qui consulte un gynécologue pour s'informer sur l'avortement. Elle semble perdue. En face, la médecin finit sa journée, elle est fatiguée, elle ne lui accorde pas le temps nécessaire. Elle ne réalise pas non plus le soutien dont a besoin sa patiente à ce moment-là, bien que ce soit son rôle. On voit ensuite une jeune femme qui apprend que le coeur de son foetus de 3 mois s'est arrêté de battre.
Le médecin lui apprend sa fausse couche comme il lui parlerait d'un rhume. Puis prend un appel téléphonique et lâche à son interlocuteur qu'il est "au bout de sa vie", à cause de sa charge de travail. Une réflexion compréhensible quand on imagine qu'il enchaîne des dizaines de rendez-vous, mais d'une violence saisissante à ce moment de la consultation.
Dans le dernier épisode, une jeune femme venue accoucher subit le comportement infantilisant de sa sage-femme, elle-même victime des remarques parfois humiliantes du gynécologue.
"Quasiment toutes les phrases, toutes les situations, ont été retirées de ce rapport ministériel", nous assure le réalisateur qui a également signé Que reste-t-il de nos erreurs, un documentaire sur les erreurs médicales. "Rien n'est inventé. Sur le 'non regard', le médecin qui ne propose pas à la patiente de s'asseoir, la difficulté d'écoute face à un avortement, la banalisation d'arrêt du coeur du foetus : je n'ai rien inventé. Après, il ne faut pas non plus accabler tous les médecins."
Car dans certains cas décrits ici, le problème vient aussi du manque de personnel dans les hôpitaux, et du fait que le corps médical est constamment débordé.
Au-delà de dénoncer les violences obstétricales qu'il est crucial d'identifier et d'adresser, ces trois petits films d'une dizaine de minutes chacun dépeignent avec justesse et subtilité la détresse dans laquelle certaines femmes se trouvent face à cette absence d'empathie - qui résulte en un traumatisme parfois difficile à surmonter. Et montrent aussi que l'attitude des médecins, des sage-femmes, des soignant·es en général, détermine l'expérience des patient·es. Un projet qui permettra certainement à ce que ce dialogue, si essentiel, s'améliore.