C'est le scandale qui secoue l'industrie musicale : le rockeur Marilyn Manson est accusé d'agressions sexuelles par plusieurs femmes. C'est son ex, l'actrice Evan Rachel Wood, qui a lancé l'alerte, nommant le chanteur pour la première fois comme son agresseur. Mais déjà, bien des voix tendent à contester les paroles des plaignantes. L'heure est au victim blaming, cette tendance consistant à pointer du doigt les mots des victimes d'agressions sexuelles et de viols, et la véracité de leurs accusations.
L'un des grands arguments au coeur des débats ? Le personnage médiatique "monstrueux" du musicien aurait dû alerter ses présumées victimes. Comme si l'habit faisait le moine. Ce discours n'est pas né avec la révolution #MeToo, loin de là. Il a toujours existé. Et se voit être indissociable de l'idée selon laquelle les agresseurs et violeurs ne peuvent pas l'être car ils "ont l'air gentils". Un pur fantasme s'il en est, rappelle le magazine Stylist.
C'est d'ailleurs là la matrice-même de la culture du viol : les représentations faussées que l'on se fait des agresseurs, et que la culture populaire participe volontiers à généraliser. Tout comme il surgirait forcément d'une ruelle sombre, couteau au poing, le violeur-type ne pourrait pas avoir un physique ou un comportement passe-partout. Pire encore, il ne pourrait pas être beau ou talentueux. Tout cela, bien évidemment, est faux.
Déjà car, comme le rappelle la gynécologue féministe Laura Berlingo, 90% des viols sont commis par quelqu'un que l'on connaît. Pas la peine de chercher un croquemitaine, donc. Ensuite, car les paroles expertes abondent pour insister sur le fait que, non, un violeur n'a pas de portrait-type.
"Le comportement humain est complexe et nuancé. Mais en ce qui concerne les agressions sexuelles, nous semblons toujours oublier que nous ne vivons pas dans un monde de dessins animés. Si nous recherchons des monstres, alors nous ne les trouverons jamais", explique à ce titre Janey Starling à Stylist.
Janey Starling est la codirectrice de l'organisation de campagne Level Up, collectif qui vise à mettre fin aux violences sexistes et sexuelles aux Etats-Unis. Comme elle, militantes et tribunes cherchent à déconstruire la culture du viol et les nombreuses croyances qui gravitent autour des agresseurs sexuels. C'est par exemple le cas d'Eri Kim, psychothérapeute au sein de Safe Horizon, la plus grande organisation à but non lucratif de services aux victimes des Etats-Unis. Le spécialiste explique : "Nous pensons que des vertus comme la bonté et la réussite rendent les hommes médiatisés incapables de viol, mais ce n'est pas vrai. C'est un leurre".
En somme, le violeur n'a pas de visage, ou tout du moins, il en a mille.
Perpétuer cet argument revient à faire préjudice aux victimes : au lieu de les écouter, on préfère s'appesantir sur notre ressenti, alimenté - dans le cas de Marilyn Manson - par la médiatisation. "Il est triste de supposer qu'il soit impossible pour un homme intelligent et sympathique de ne pas comprendre le fonctionnement du consentement. Même les 'mecs biens' font de mauvaises choses. Et l'on oublie au passage que la réputation de la victime est ruinée, que cette dernière peut souffrir de traumatismes, se sentir étouffée", développe le site Hello Giggles.
Pas besoin d'aller chercher du côté des people pour le démontrer d'ailleurs. Prenons par exemple ce fait divers éloquent : l'expulsion d'un étudiant par le conseil de discipline de l'Arizona State University en mars 2017. Etudiant diplômé, brillant et accusé d'agression sexuelle par une élève. Le présumé agresseur avait failli être blanchi par le conseil de discipline universitaire grâce à sa "moyenne quasi parfaite". Qualités physiques et créatives semblent toujours faire pencher la balance du côté du patriarcat.
"voici ce que nous ne ferons pas avec Marilyn Manson :
- Dire aux survivantes qu'elles "auraient dû savoir" qu'il était un agresseur car il a l'air bizarre
- Dire "pourquoi êtes-vous sorti avec lui alors" car les survivantes peuvent subir des abus futurs
- Blâmer des adolescentes pour avoir fréquenté des hommes âgés
Voici ce que nous allons faire : le tenir responsable", tient à rappeler la journaliste et autrice Lane Moore sur ses réseaux. Limpide, non ?
Les violeurs n'ont pas des visages de monstres tout droit sortis des films d'horreur. Le dire semble logique comme tout. Mais pas pour tout le monde. Bêtise ? Méfiance envers les victimes ? Jugements sexistes ? D'autres raisons, psychologiques, expliquent le pourquoi de cette volonté d'associer innocence et sympathie apparente.
"Nous continuons de penser que seuls les 'monstres' se livrent au harcèlement et aux agressions sexuelles car il y a tout un sentiment de réconfort à croire que si nous pouvons reconnaître les prédateurs, une partie du problème est déjà résolue", analyse Nickie Philips, autrice de l'essai de Beyond Blurred Lines: Rape Culture in Popular Media (Au-delà des lignes floues : la culture du viol dans les médias populaires, Editions Rowman & Littlefield)
"Le problème n'est pas que nous sommes menacées par de monstrueux prédateurs en série, mais que nous avons contribué à bâtir toute une culture qui, aux niveaux social et institutionnel, fait en sorte de renforcer les inégalités entre les sexes de manière à tolérer les agressions sexuelles. Par conséquent, il n'est pas surprenant que dans les cas de viol, les préjudices soient minimisés et le blâme des victimes soit conséquent", déplore encore l'autrice.
Autrement dit, représentations et discours culturels participent à la culture du viol. Oui, même un banal "pourtant il avait l'air gentil", fait du mal à l'égalité des sexes. D'autant plus que, comme le rappelle l'analyste du comportement criminel Laura Richards à Stylist, la sympathie peut être une arme. "Dans une relation, les abus peuvent être plus insidieux, et la séduction en faire partie", explique l'experte, qui voit là "la rhétorique du gentil garçon".
Des informations à partager aux adeptes du "victim blaming" donc.
- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h les samedi, dimanche et jours fériés.
- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.