Depuis l'annonce de l'adaptation en série par Lenny Abrahamson et Alice Birch du livre Conversations with Friends de Sally Rooney, le compte à rebours était lancé. Et l'excitation parmi les initié·es, palpable. Après le succès de Normal People, qui retranscrivait à la perfection sur le petit écran les émotions ressenties dans le texte, difficile de ne pas se réjouir de retrouver la plume franche mais subtile de la romancière irlandaise, et le travail impeccable des scénaristes.
On s'attendait à une alchimie aussi irrésistible et réelle qu'entre Marianne et Connell, bien que le synopsis n'ait pas grand-chose de similaire en théorie. A des dialogues qui captivent, à des silences qui prennent aux tripes, à des situations singulières auxquelles on réussirait tout de même à s'identifier.
Malheureusement, et les critiques sont plutôt unanimes, le résultat (diffusé depuis le 15 mai sur BBC Three et Hulu- pas encore en France) n'est pas à la hauteur des espérances des fans. Et même en n'ayant pas lu le bouquin, et donc en n'ayant pas projeté grand-chose, on a du mal à s'accrocher à la dynamique de ce quatuor que "awkward" ne pourrait mieux définir.
L'histoire est grosso modo la suivante : Frances (Alison Oliver) et Bobbi (Sasha Lane), deux meilleures amies/anciennes amantes qui font leurs études à Dublin, rencontrent une écrivaine, Melissa (Jemima Kirk), après l'une de leurs performances poétiques. L'autrice, fascinée, les félicite et les invite à déjeuner chez elle. Le duo y rencontre son mari, Nick Conway (Joe Alwyn- dont le faux accent irlandais a été sévèrement épinglé), acteur de seconde zone plus insipide qu'énigmatique. Il se rapproche de Frances, et Bobbi de Melissa. Les deux premier·es commencent petit à petit une relation adultérine qui explosera en vol, la faute à une communication impossible entre des personnages aux capacités d'expression de leurs émotions limitées.
"Un enchevêtrement plus obscur que Normal People, rendu encore plus inaccessible par l'opacité psychologique des personnages et leur aversion générale pour la parole", note le Guardian en évoquant l'oeuvre originale. Nick est dépressif, et leur relation à tous les deux, comme à tous les quatre est particulièrement toxique. La faute, entre autres, à un narcissisme flagrant et partagé.
Mais ça, dans la série, on le discerne difficilement, tant la dimension autour de la santé mentale a été gommée au profit de ce qu'on identifie comme une amourette sans grand intérêt.
Au début pourtant, ça marche. On retrouve les échanges calqués sur la vraie vie, les émotions propres à la complexité des débuts de relation (qui plus est à l'ère du digital, le terrain de prédilection de Sally Rooney), les difficultés à exprimer des sentiments qu'on ne définit pas bien soi-même. On se retrouve dans les hésitations de Frances avant d'envoyer un message à Nick, dans la façon dont elle pèse chaque mot avant de se lancer, la déception qui l'étreint lorsque la réponse n'est pas ce qu'elle espérait. Les incompréhensions quand le ton manque, et l'attente désespérée lorsque les retours se font tarder.
Dans les 4 premiers épisodes, on voit naître l'attachement de Frances pour Nick et évoluer l'attention de Frances pour Bobbi. On s'attache au couple clandestin, on regarde le quatuor, tou·te·s aussi sublimes les un·es que les autres, se mouvoir à l'écran entre l'Irlande et la Croatie, le ciel gris et le soleil étouffant. Seulement au bout d'un moment, c'est justement cette dernière sensation qu'on retient.
On ne comprend pas bien pourquoi suivre, sur 12 épisodes d'à peu près 30 minutes chacun, une romance sans substance qui fonce droit dans le mur avec aux manettes des protagonistes qui gagne en capital agacement au fil du temps. Si ce n'est pour l'esthétisme des scènes de cul, pour le coup affranchie d'un male gaze omniprésent. Et de l'axe sur l'endométriose, dont la description serait particulièrement fidèle au vécu des personnes concernées. Déjà deux bons points, ce qui n'est pas rien.
Le goût que nous laisse Conversations with Friends est donc doux-amer. Pas brillant, pas catastrophique, mais un entre-deux qui déçoit justement par le potentiel dont la matière première disposait - bien que difficile à mettre en images. C'est peut-être ça d'ailleurs, le problème : contrairement à Normal People pour laquelle elle a co-écrit le scénario, le rôle de Sally Rooney sur cette adaptation-là n'est pas tout à fait clair. Espérons donc qu'elle soit davantage impliquée dans le processus, si Beautiful World, Where Are You, son dernier roman, devait être adapté.