Normal People est l'événement de l'été. La série en douze parties raconte l'histoire d'amour complexe et intemporelle de Marianne (Daisy Edgar-Jones) et Connell (Paul Mescal), depuis leurs classes de lycée sur la côte atlantique irlandaise jusqu'aux bancs de la fac de Trinity College, à Dublin. Elle est sortie en France le 16 juillet sur la chaîne Starzplay et, en quelques jours à peine, a conquis son public. S'est mis dans la poche les lecteur·ice·s avides de poser une image sur des mots, et les retardataires qui ont suivi l'intrigue sur le petit écran avant de parcourir les pages brillantes de Sally Rooney.
C'est elle, l'autrice qui incarne si bien sa génération, qui a mené de main de maîtresse l'adaptation télévisuelle. Pour ne pas perdre une miette de sa prose singulière - car franche, simple, percutante, précise - sans doute. Et retranscrire fidèlement des émotions sublimées par le papier.
L'exercice semblait périlleux. La relation des deux protagonistes a quelque chose d'unique qu'il n'est pas aisé d'interpréter. C'est brut, vrai, honnête, douloureux, délicat et évident. Il fait mal, leur amour. Il prend aux tripes. Parce que le récit tient à ne rien édulcorer, ni à se faciliter la tâche en tentant des raccourcis mièvres et malencontreux. Parce qu'il aborde plus qu'une amourette entre adolescents paumés.
C'est une rencontre entre deux personnalités protectrices et destructrices. Deux jeunes comme il en existe plein, livrés à eux-mêmes un peu trop tôt, fragiles, qui se trouvent à défaut de trouver leur place dans la société. Deux âmes qu'on suit au fil d'une période charnière et redoutable. Qui découvrent des sentiments qui les dépassent, mêlés à des sensations qui les animent. Et que l'histoire personnelle, parfois violente, a abimés.
Dans le livre, les scènes de sexe marquent. Dans la série, c'est pareil. Normal People dépeint à la perfection ces moments suspendus. Des étreintes puissantes. Importantes. Car éloignées d'un male gaze nocif qui réduirait l'ébat à deux corps et quelques gémissements peu convaincants dénués de sens. Non pas que le coït sans lendemain soit à condamner, au contraire. Ici, il est simplement riche d'intentions, de soupirs, de jouissance, de guérison. De mal-être, aussi. De notion de consentement indissociable. De sincérité nécessaire.
Le réalisateur et producteur exécutif Lenny Abrahamson confie que le défi de représenter quelque chose d'authentique était de taille, car rare à l'écran, mais y arriver demeurait fondamental. Une coordinatrice d'intimité, Ita O'Brien, a même été engagée sur le plateau. "Si vous regardez les séries qui traitent des jeunes et du sexe et des jeunes et des relations, une grande partie des propositions actuelles, qui sont brillantes donc pas de critique, montre le sujet comme une sorte d'expérience problématique", détaille le réalisateur à Express UK. "Il y a soit un certain type de dystopie nihiliste dans des oeuvres comme Euphoria. Soit c'est ludique, exagéré et absolument génial comme dans Sex Education, mais là encore, il s'agit d'une version très stylisée."
Auprès de Vanity Fair, Lenny Abrahamson déplore une recette usée à la corde : "Dans le langage cinématographique conventionnel, quand la scène d'amour démarre, c'est là que la musique se lance... Tout le monde part dans une sorte de contrée de l'extase dès qu'il commence à faire l'amour", poursuit-il. "C'est comme si quelqu'un appuyait sur un bouton et les personnages sont tous les deux dans une sorte de nirvana. Le vrai sexe n'est pas comme ça - c'est drôle et stupide et un peu merveilleux, mais aussi réel. Si vous enlevez tous les clichés, il vous reste quelque chose qui a une chance d'être vrai".
Si vrai que certains détails d'habitude évincés ont été volontairement intégrés. La capote de la toute première fois, séquence déjà culte, que Marianne exige à Connell par exemple. Entre baisers pressés, hâte touchante et sous-vêtements qui ne s'enlèvent pas sans encombre, la question du préservatif ne manque pas de surgir.
Daisy Edgar-Jones, l'actrice du rôle-titre, évoque ce moment qu'elle estime clé. "Je ne pense pas que l'on voit souvent des scènes d'amour avec ces éléments (la discussion autour de la contraception, ndlr), parce que pour une raison ou une autre, nous avons le sentiment que cela briserait le moment ou affecterait son caractère sacré. Mais cela ajoute vraiment à la situation, parce que c'est ce à quoi devrait ressembler un premier rapport, quand Connell s'assure que Marianne est en sécurité. Mais aussi que Marianne se sente capable de demander une protection et de ne pas s'en sentir gênée".
Quand elle n'est pas avec Connell, Marianne expérimente aussi son désir de soumission, le bondage, le sadomasochisme. Seulement rien ne se passe comme elle l'aurait souhaité. Evidemment, ce ne sont pas ses préférences sexuelles qui sont critiquées par l'autrice, mais le comportement violent et ravageur de ses partenaires, que Marianne tolère malgré elle. Avec Connell, elle semble trouver, comme lui, un plaisir libérateur, une intimité qui se ressent au-delà de l'écran. On pense à la scène de la voiture en bord de mer, à leur torride réunion à la fac... "L'une des choses dont je suis le plus fière est ce sentiment d'égalité entre Paul et moi", affirme Daisy Edgar-Jones. Et c'est cette confiance qui rend les séquences d'autant plus excitantes.
Paul Mescal, qui interprète le personnage principal, considère d'ailleurs que le succès de ces images relève davantage de l'échange entre les deux amants que de l'acte en lui-même. "Je ne pense pas que [Normal People] s'intéresse au sexe", lance-t-il. "Je pense que l'histoire s'intéresse à ce qui se passe entre ces deux personnages qui font l'amour à ce moment-là. C'est ce qui est si beau chez eux."
Il revient sur la scène de leur première fois : "Ce qui est important, c'est à quel point ils sont plein d'amour l'un pour l'autre, et à quel point Connell est prudent avec son pouvoir à ce moment-là - à quel point il est généreux et patient, et juste attentif."
Finalement, les scènes de sexe y sont essentielles puisqu'elles y sont comme dans la vie : maladroites, intenses, précieuses, trop rapides, trop lentes ou désorganisées. Elles font partie de notre quotidien, instaurent un sentiment de complicité jouissif. Mais n'incarnent pas forcément le ciment des relations qui nous construisent. Ni un but en soi dans le scénario. Seulement une chose est sûre, elles ont de quoi inspirer plus d'un·e scénariste.