Culture
Pourquoi on file voir "Kajillionaire", la nouvelle comédie décalée de Miranda July
Publié le 30 septembre 2020 à 13:16
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Pour son troisième (et très attendu) long-métrage, "Kajillionaire", la réalisatrice Miranda July suit une famille d'arnaqueurs ratés et excentriques. L'occasion de retrouver l'univers poétique et barré de la réalisatrice indie.
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Elle a les cheveux interminablement longs, un teint spectral, une voix de baryton, nage dans un jogging sans forme. Et elle porte un nom de vieux cow-boy des plaines : Old Dolio. Cette fille étrange n'a pas vraiment de bol : elle est née de deux parents malfrats. Depuis son plus jeune âge, on lui a inculqué l'art de l'entourloupe, de la ruse et de la magouille. Trimballée d'arnaques bidons en coups foireux, Old Dolio se laisse porter. Parce que son univers étriqué se réduit à ce duo mère-père raté et détaché, un lit posé dans un entrepôt désaffecté qui dégouline de mousse et à tenter de se faire valoir en élaborant de nouvelles combines. Pourtant, elle rêve d'autre chose. De quoi ? Elle n'en est pas sûre. Elle pressent juste un ailleurs plus lumineux. Comme lors d'un cours prénatal dans lequel elle s'est incrustée où elle découvre, fascinée, le rampement d'un nouveau-né vers le sein maternel. Un déclic. "J'ai rampé ou j'étais dans un berceau ?", demande-t-elle à sa mère agacée.


La routine de cette famille dysfonctionnelle se retrouvera définitivement pulvérisée par l'irruption de Melanie, petit bout de femme généreux et insouciant. Un électron libre qui ouvrira enfin de nouveaux horizons à Old Dolio et l'aidera à réparer son lien parental malmené. Au cours de ce parcours initiatique, elle s'extirpera de son cocon toxique, à l'instar de la chenille qui devient papillon.

Le film "Kajillionaire" de Miranda July © Focus Features

Miranda July est un cas à part à Hollywood. Cette artiste farouchement indépendante, pluritalentueuse (musicienne, actrice, scénariste, autrice et réalisatrice) et féministe (elle a créé son propre réseau de distribution de films, Big Miss Moviola, pour soutenir les artistes vidéo américaines indépendantes) a frappé les esprits dès sa première oeuvre, Moi, toi et tous les autres. Dans cette comédie romantique délicieusement poétique et inventive, July déployait un univers unique, entrelaçant mélancolie et folie douce. Un coup d'essai qui moissonna les récompenses, notamment le prix de la Caméra d'or au festival de Cannes en 2005.

Après la comédie arty The Future en 2011, Miranda July a de nouveau pris son temps. Elle a écrit. Elle pond Il vous choisit (It Chooses You) en 2013, un objet littéraire et artistique décalé dans lequel elle conte sa quête de la personne qui propose "une grande veste en cuir à 10 dollars" dans une journal de petites annonces. Puis l'inclassable Le premier méchant (The First Bad Man) en 2018, qui suit l'itinéraire d'une quadra hypersensible et maniaque qui bosse dans une association d'autodéfense féminine.

La réalisatrice Miranda July sur le tournage de Kajillionaire © Matt Kennedy/Focus Features

Miranda July n'aime rien tant qu'ausculter le bizarroïde, le farfelu, les êtres en marge. Avec cette nouvelle comédie, Kajillionaire, elle poursuit son oeuvre douce-amère. En suivant cette famille d'escrocs à la petite semaine et surtout la métamorphose d'El Dolio, July livre une nouvelle histoire touchante, où le burlesque et l'ironie le disputent au mélo. Au centre de cette fable décalée, Evan Rachel Wood (méconnaissable en taiseuse coriace) et la pétillante Gina Rodriguez (déjà remarquée dans la série Jane the Virgin) parviennent à tisser une tension sexuelle et émotionnelle grisante. Une bouffée d'air singulière.

Kajillionaire

Un film de Miranda July

Avec Evan Rachel Wood, Gina Rodriguez, Richard Jenkins, Debra Winger...

Sortie en salles le mercredi 30 septembre 2020

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