Spencer nous ramène en 1991. Passant ses vacances de Noël au sein de la vaste propriété de Sandringham House (Norfolk, Angleterre), Diana Spencer, alias Lady Di, se morfond aux côtés de la famille royale. Image médiatique, rituels de cour et vie conjugale la plongent dans un état pensif et angoissé.
Si ce synopsis vous semble curieux pour rendre compte de la vie de la princesse de Galles, précisons d'emblée que cette biographie-là n'en est pas vraiment une : elle est mise en scène par le cinéaste chilien Pablo Larrain, qui avait précédemment dépeint avec force et originalité la vie post-JFK de Jackie Kennedy dans l'excellent Jackie (avec Natalie Portman).
Applaudi à la Mostra de Venise, Spencer est un film qui partage bien des points communs avec ce prédécesseur. Un portrait de femme contemplatif, tragique et poétique, qui délivre des images inédites. Avec, dans le rôle d'une Lady Di réinventée, une étonnante Kristen Stewart. Spencer est donc un film inclassable, à découvrir sur Amazon Prime dès le 17 janvier.
Et voici pourquoi.
Comme Jackie (à rattraper illico si ce n'est déjà fait), Spencer raconte avant tout la solitude d'une femme de pouvoir. Soit l'histoire de Lady Diana étouffant au sein d'un environnement trop doré pour elle. L'attitude fuyante d'un prince Charles dont elle souhaite se désunir, les réflexions et comportements louches du personnel, les clichés des photographes avec lesquels on l'accable sans cesse, sont autant de sources d'anxiété pour elle. Mais aussi ses souvenirs d'enfance...
Spencer met donc en scène une Lady Di aussi tourmentée qu'un personnage shakespearien. Mais Diana Spencer se présente également en mère de famille touchante, désirant simplement fuir en compagnie de ses enfants, avec lesquels elle partage jeux et confessions. Des interludes complices, aux antipodes des rituels rigides de la cour royale. En cette Diana-là palpite une envie de liberté qui ne fera que s'accroître.
Dès son titre, Jackie donnait le ton : privilégier l'humilité du personnage derrière le trop pesant "Kennedy". Spencer narre davantage le récit d'une femme en quête d'identité – la sienne, rappelée par le titre - désirant renouer avec une singularité mise à mal dans cette si vaste demeure où elle étouffe. Au fond, le personnage de Diana se fait le reflet d'une condition féminine soumise à tous les regards et les injonctions. Raison parmi d'autres de l'empathie qu'elle suscite - à l'écran et en dehors.
Autant vous prévenir d'emblée : Spencer n'est pas un film comme les autres. Déjà, ce n'est absolument pas un biopic traditionnel – ces biographies filmées qui sombrent bien souvent dans les conventions. Non, c'est un projet hybride. Dans toute sa première partie, le cinéaste Pablo Larrain nous plonge dans l'esprit angoissé d'une Lady Diana se sentant étrangère et persécutée dans une demeure royale aux allures de manoir hanté.
L'ambiance globale, de la mise en scène aux cadrages en passant par les lumières, s'inspire ouvertement du Shining de Stanley Kubrick. Oui, rien que ça. Récit de fantômes qui fait écho au Chant de Noël de Charles Dickens, Spencer est donc un film d'horreur. A sa façon. Mais c'est aussi un récit historique dédié à l'exercice du pouvoir, et à ce que ce pouvoir fait peser sur les femmes. En plus d'être un mélodrame, aux climax émotionnels intenses.
Autant de genres que le cinéaste invoque pour mieux en déboulonner les codes. Finalement, Spencer est à l'image de son héroïne : une figure familière et pourtant si énigmatique, digne d'un puzzle.
Si la filmographie de Kristen Stewart n'est pas exempte de rôles marquants (The Runaways, Sur la route), l'actrice tient ici l'une des performances les plus exigeantes de sa carrière. A savoir ? Une interprétation habitée, tourmentée... et complexe. Car dans la peau de Lady Di, l'actrice doit cultiver un certain mystère tout en faisant en sorte que le public s'implique émotionnellement dans ses gestes et ses mots.
Autrement dit, le personnage se doit d'être à la fois lointain, inaccessible, et proche de nous. Un sacré paradoxe qui était déjà celui de Natalie Portman dans Jackie. Et que la comédienne assume avec force, délivrant une vision toute personnelle de la princesse. Ici, c'est notamment la voix, ses chuchotements, ses phrases coupées et ses silences, qui est employée pour dire le désarroi de la protagoniste, son mal-être.
Un jeu qui déroute autant qu'il fascine. Sa performance tient également de la libre interprétation poétique : Kristen Stewart, à qui ce rôle a valu une nomination pour le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film dramatique, considère Lady Diana comme une "sorte d'artiste" à la "nature rêveuse", explique-t-elle en interview.
Par-delà ses actrices (Kristen Stewart, Sally Hawkins, Amy Manson) et sa responsable des costumes (Jacqueline Durand), c'est une autre artiste féminine qui traverse de son talent ce film : la directrice de la photographie Claire Mathon. Cette dernière nous avait déjà littéralement ébloui avec son travail élaboré pour Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, délivrant des images cinématographiques dignes de tableaux.
La française Césarisée, également directrice photo de L'Inconnu du lac d'Alain Guiraudie et Mon roi de Maïwenn, parvient encore à nous étonner ici. Car l'image lumineuse de Spencer oscille sans cesse entre onirisme et intimisme. Magnifiant brouillards et paysages, elle nous donne l'impression de naviguer dans un rêve brumeux, hypnotique souvent, inquiétant parfois.
Comme à son habitude, Claire Mathon s'accorde également aux émotions des protagonistes féminines. Celles de Kristen Stewart, son regard mélancolique avant tout, sont mises en valeur par des tonalités chaleureuses. Une maîtrise visuelle qui risque bien de vous envoûter.
Spencer
Un film de Pablo Larraín
Avec Kristen Stewart, Timothy Spall, Sally Hawkins, Amy Manson...
Disponible sur Amazon Prime Video dès le 17 janvier 2022