Polars, sagas, romans spleenétiques... Vous nous avez déjà tout révélé à propos de vos livres de plage favoris. Ces compagnons de sable qui comptent autant et se déclinent en mille et une variations, selon les subjectivités. Oui mais voilà, en été, on profite parfois du temps à disposition pour rattraper en vrac les perles littéraires des mois passés. Premiers romans, fresques ambitieuses, nouveautés exigeantes...
Des fictions qui encore une fois touchent à bien des univers, du récit historique au drame intimiste, de l'aventure dépaysante à l'immersion intérieure. Images contemplatives et fragments psychologiques ponctuent ces romans de l'été que l'on se plaît à investir. Mais sur quels opus foncer dans les rayons bien chargés de notre librairie préférée ? Pas de panique, on a sélectionné pour vous six romans aussi audacieux que passionnants.
Suivez le guide.
Fruit d'années de recherches, From Jackie With Love est le premier roman de la plasticienne de formation Hermine Simon. Et pas le moins ambitieux des coups d'essai littéraires, puisqu'il s'agit là des mémoires fictives de Jackie Kennedy, Jacqueline Bouvier de son nom de jeune fille. Icône fashion, femme meurtrie et romantique, Première dame pleine de détermination, figure intellectuelle aussi insaisissable que tragique... Le mythe "Jackie" n'en finit pas de nous fasciner, 27 ans après sa mort.
Et l'autrice, dans cette épopée intime et chronologique, de revenir sans détour sur ses deuils (nombreux) et ses accomplissements, ses passions (amoureuses, mais aussi artistiques) et son regard, aiguisé et moderne. Mais comme dans l'admirable Jackie de Pablo Lorrain, c'est aussi l'histoire d'une femme complexe et paradoxale qui s'esquisse au fil des chapitres. On s'attache à Jackie, mais on aime aussi à l'interroger, questionner ce que cache cette élégance à toute épreuve, à la fois fierté et armure face à la violence du monde. Sacré portrait.
From Jackie, with love, par Hermine Simon.
Editions Charleston, 288 p.
Autre portrait de femme(s), au pluriel cette fois-ci, Filles du vent narre la fugue de trois jeunes femmes issues d'un foyer. Une fuite qui n'a rien d'un acte désespéré, bien au contraire : c'est l'espoir, et l'idéal, qui guide leurs pas. Car si Céline, Lina et Assa désertent "L'escale", leur foyer de banlieue parisienne, c'est pour visibiliser à travers la France et par le biais de collages la cause de celles que l'on entend pas, celles des jeunes filles placées.
#MeToo, la marche Nous Toutes, les actions des colleuses en réaction aux violences sexistes et sexuelles... Avec ce roman revigorant, Mathilde Faure s'empare des révolutions féministes actuelles et en fait le point de départ d'un tour de France pas comme les autres, où s'exprime une jeunesse en manque de repères, mais surtout en quête d'action, de révoltes et de mobilisation. Récit polyphonique où chaque personnage s'exprime à égalité, Filles du vent magnifie les laissées-pour-compte par le biais d'une prose galvanisante.
La fiction sororale qui manquait à notre bibliothèque féministe.
Filles du vent, par Mathilde Faure.
Editions Charleston, 256 p.
Bousculer les lignes à coups de crampons, c'est là l'intention présumée du romancier italien Stefano Massini. C'est en tout cas l'impression qui ressort de ce Ladies Football Club novateur. En narrant la naissance des équipes féminines de football en Angleterre, due à l'initiative collective des ouvrières d'une usine de munitions au début du vingtième (ouvrières dont les maris sont partis au front), Massini concilie le naturalisme social d'un Ken Loach et l'expérimentation narrative des romanciers les plus avant-gardistes.
Car c'est de vers libres que se constitue ce roman singulier, énoncé comme une histoire que l'on conterait au coin d'un pub, ou bien une ballade exemplaire pour les générations à venir. Dialogues, souvenirs et événements sont décochés d'une page à l'autre sans exigence de rimes, la forme revendiquant une liberté égale à celles des héroïnes mises en mots. Des personnages aux caractères saisissants, détaillés avec vivacité et humour.
Stefano Massini aime ces footballeuses, plus encore, il admire leur engagement, leurs mantras, et son style dynamique, élastique, fait honneur à leur volonté d'émancipation.
Le ladies football club, par Stefano Massini
Editions Globe, 200 p.
Ironie du sort, dire d'un premier roman qu'il est atypique en diable, surprenant, voire stupéfiant, revient à sombrer dans le plus prévisible des lexiques. Et pourtant, difficile de mieux résumer l'entrée dans le champ littéraire de la jeune autrice Erin Hortle, enseignante en Lettres, passionnée de biodiversité et fière résidente de Tasmanie.
C'est justement en Tasmanie que nous emmène L'Octopus et moi, et plus précisément sur les traces de Lucy. Tout juste remise d'un cancer du sein, notre protagoniste va profondément s'interroger sur son identité, son couple et son corps, en se confrontant aux éléments naturels alentours, et notamment... Aux pieuvres. Escale aussi bien géographique que psychologique, ce roman conjugue récit d'initiation et évocations sensuelles, voyage intimiste et discours écologistes, dans un tout qui semble couler comme l'eau sur le corps bouleversé de ses personnages.
Loin de l'épopée traditionnelle de "l'homme face à la Nature", Erin Hortle délaisse toute fantasmagorie, ou plus précisément, l'exprime autrement, à travers le point de vue d'une femme, assumant ses contradictions et ses désirs. On en ressort ébahi.
L'octopus et moi, par Erin Hortle.
Editions Dalva, 400 p.
Autre indéniable maîtrise narrative, celle de la romancière et juriste Emma Deruschi, qui signe avec La femme que nous sommes un premier roman en forme de compte à rebours étouffant. Cette atmosphère anxiogène recouvre la vie d'Elisa, victime de violences conjugales bien décidée à mettre fin à son calvaire. Autour d'elle gravitent des femmes de tout âge et caractère, autant de générations pour dire mille et une formes d'exclusions et de violences.
Les violences conjugales et les féminicides, mais aussi le cyber-harcèlement, ou encore la condition des femmes sans-abris... Comme le suggère son titre, La femme que nous sommes traite avec un style abouti, empli d'une sourde gravité, d'une forme d'oppression systémique. Une oppression subie sous bien des aspects par les nombreuses invisibles d'une société patriarcale, voix anonymes que ce récit choral valorise avec éclat.
Ce roman captive, bouscule, mais surtout, il bouleverse.
Avis aux yeux sensibles.
La femme que nous sommes, par Emma Deruschi.
Editions Flammarion, 256 p.
"Quelqu'un entre dans le silence et m'abandonne / La solitude à présent n'est pas seule / Tu parles comme la nuit / Tu t'annonces comme la soif". Dit-on mieux l'exil qu'à travers ces mots de la poétesse argentine Alejandra Pizarnik ? En lui empruntant ses vers et leur force, la romancière vénézuélienne Vaitiere Rojas Manrique trouve là la poésie nécessaire pour dire la perdition de toutes celles et ceux qui ont du quitter l'Amérique du Sud. Sa narratrice évoque sa solitude non pas en vers, mais en lettres, sous la forme d'une correspondance à la fois drôle et dramatique.
Tu parles comme la nuit nous immerge dans l'esprit d'une exilée, qui ne trouve vraiment refuge qu'à travers l'écriture et la littérature. Ses pensées, comme son corps, semblent flotter dans un espace incertain, en quête d'une finalité impossible, dans un monde aussi absurde que ceux dépeints par le romancier Franz Kafka. On s'éprend de ce récit aux allures de journal intime, plein d'affects et de pudeur, qui se dévore et nous hante.
Tu parles comme la nuit, par Vaitiere Rojas Manrique.
Editions Payot & Rivages, 120 p.