#SalePute. Une insulte en hashtag pour énoncer la violence, mais aussi la banalisation, du cyberharcèlement. Et donc, le titre idéal pour le documentaire de Laure Salmona et Myriam Leroy, d'ores et déjà disponible sur le site de la chaîne et sur YouTube.
"Il y a toujours ce même truc dans ces insultes en ligne, l'image de 'la grosse pute moche'. On dirait que tous ces commentaires viennent du même homme. Cela démontre la nature systémique du problème", y décrypte Emma Jane, autrice américaine de l'enquête Misogyny Online. Pour appuyer cette observation, les documentaristes ont interrogé journalistes et streameuses, comédiennes et créatrices.
Toutes témoignent des mêmes insultes, mais aussi attaques groupées, menaces, incitations au suicide... Un panoptique qui fait l'effet d'une gifle. Vous le devinez, #SalePute est à ne pas louper, et voici pourquoi.
#SalePute déploie une série d'informations à relayer pour mieux éveiller les consciences et les sensibiliser au phénomène encore trop minoré du harcèlement en ligne. On y apprend notamment qu'un tweet sur quinze mentionnant une femme blanche est abusif. Pour les femmes noires, c'est un tweet sur dix. Des données fournies par Amnesty International.
Autre information des plus inquiétantes : 41 % des femmes ayant subi des violences en ligne ont déjà craint pour leur sécurité physique. Cette crainte, on la ressent volontiers en écoutant, par exemple, le témoignage de Nadia Daam. En 2017, la journaliste a été massivement harcelée, menacée de meurtre et de viol, pour une simple chronique diffusée sur Europe 1. Sa jeune fille, également, a fait l'objet de menaces.
"Les attaques se passent peut être sur Internet mais ceux qui les mènent sont bien réels", rappelle-t-elle à raison. Il ne faut plus ignorer les conséquences du cyberharcèlement et prendre (vraiment) en considération l'expérience de ses victimes.
C'est justement l'impact des témoignages de ce documentaire polyphonique qui, on l'espère, permettra cette prise de conscience. Car des propos forts, il n'y a que cela dans #SalePute. Comme celui, de Nadia Daam, toujours : "On a tendance à présenter les victimes de cyberharcèlement comme des warriors, qui sont censées transformer cette expérience en combat politique. Alors que ça donne juste envie de se terrer sous la couette et de ne plus exister. De se dire : je n'ai pas envie que les gens sachent que j'existe".
Ou encore, les mots de la jeune streameuse belge Manonolita, créatrice sur Twitch, qui a été victime d'une violente vague de harcèlement sur Discord. Elle détaille avec éloquence ce processus d'anéantissement. "Ces gens voulaient me détruire psychologiquement et me pousser au suicide. Ils m'ont dit qu'ils ne cesseraient pas tant que je ne me serais pas suicidée".
Une "destruction psychologique" vécue par nombreuses femmes. Dans le documentaire, elle est aussi bien évoquée par l'humoriste belge Florence Mendez et l'autrice française Pauline Harmange (Moi les hommes, je les déteste) que par l'activiste et avocate indienne Trisha Shetty.
Si comme le dit Nadia Daam, les victimes de cyberharcèlement n'ont pas forcément la force d'ériger leur souffrance en combat politique, ce qu'elles en disent, en tout cas, l'est profondément - politique. Ce qui anime leurs harceleurs, également. C'est Lauren Bastide, journaliste et créatrice du podcast La Poudre, qui explique pourquoi : "Avec la menace du cyberharcèlement, les femmes sont moins prêtes à prendre la parole dans l'espace public. Pour le faire, il faut être blindée et sûre de soi".
En somme, le cyberharcèlement vise à faire taire. A silencier. En cela, il exacerbe un phénomène vécu par bien des femmes, celui de l'autocensure. Un discours que Lauren Bastide détaille d'ailleurs dans son foisonnant manifeste dédié à la place des femmes dans l'espace public, Présentes (Allary Editions).
Mais c'est aussi le point de vue qui peut être porté sur l'expérience du harcèlement en ligne qui invite au silence – culpabilisant. "Il y a beaucoup de résonances entre le cyberharcèlement et la culture du viol. Du commentaire haineux au raid qui fout ta vie par terre, certains semblent réagir de la même façon : 'c'est le 'tarif'. Comprendre, tu n'avais qu'à pas sortir la nuit, ou émettre un commentaire politique", analyse Lauren Bastide.
Un "tu l'as bien cherché" qui fait perdurer victim blaming et sentiment d'impunité.
Laure Salmona et Myriam Leroy renversent cette loi du silence. Elles provoquent le nôtre, indigné, en démontrant que chaque femme peut être victime de harcèlement en ligne. Même l'autrice Natascha Kampusch, enlevée et séquestrée pendant plus de dix ans quand elle n'était qu'enfant, a fait l'objet d'attaques diverses.
Malgré la diversité des parcours et des professions, ce sont bien souvent les mêmes insultes, méthodes et conséquences psychologiques qui sont énoncées par les interlocutrices. Pas si étonnant. "Au fond, toutes ces histoires disent la même chose : le mépris des femmes, une haine si banalisée qu'on ne prend même pas la peine d'en parler", déplorent les documentaristes. D'où l'importance de libérer cette parole trop verrouillée.
Ecouter les victimes, oui, mais aussi retenir ce qu'elles racontent de leurs harceleurs. A savoir ? Que ce sont des messieurs-tout-le-monde, "loin d'être de simples puceaux décérébrés", ironise Nadia Daam. Myriam Leroy développe : "Celui qui harcèle est certainement un bon voisin. Les harceleurs sont parfois pères de famille et certains d'entre eux ont même des filles. Ils ne sont pas des anomalies du système, ils sont le système".
Difficile de mieux le dire. En fin de séance, n'hésitez pas à lire cette implacable analyse de l'insulte "sale pute", expression de la misogynie "qui cogne, viole et tue", par la journaliste et autrice Titiou Lecoq.
#SalePute
A voir en replay sur la plateforme d'Arte
Diffusion sur la chaîne le 23 juin 2021 à 22h35