Non, les livres de plage ne se limitent pas aux best-sellers de Marc Lévy et Guillaume Musso. Voilà, c'est dit. Les livres de plage, ce sont ces bouquins que l'on emporte avec soi, que l'on cale sur sa serviette, qui prennent l'ombre, le soleil, le sable, voire l'eau pour les âmes les plus aventureuses. Ces lectures qui accompagnent vos heures passées sous un parasol comptent vraiment. Elles se savourent entre deux baignades, ou se dévorent une fois la crème solaire enduite sur le corps. Un livre de plage, c'est important, c'est beau, nostalgique et précieux.
Cela paraît curieux à dire, mais il y a bel et bien un ADN du livre de plage. Dans ce contexte, on privilégie une littérature de qualité, immersive, censée happer notre attention malgré les bruits environnants, la chaleur ou le murmure apaisant des vagues. Il peut faire son poids, tendance pavé de Stephen King, ou se décliner sous la forme de sagas de papier tout aussi conséquentes. On aime qu'un auteur, une autrice ou un univers, nous berce des jours durant, comme un compagnon de vacances, qui aurait bien mérité, lui aussi, de se dorer la pilule.
Mais le livre de plage parfait ne se limite pas à ce léger descriptif. La preuve ? A vous écouter, il a mille et un visages. Pour Terrafemina, vous êtes venues théoriser cet indispensable de nos escapades solaires. Non sans décocher quelques recos livresques qui sentent bon l'été.
Imaginez. Vous voilà au soleil, quasiment prête à chantonner un air de Jenifer, quand vous vient une idée : tuer ce temps serein en pillant un bouquin. Derrière lui, un choix loin d'être anodin. On pourrait presque parler de casting. Car le livre de plage épouse une logique à part entière, c'est un texte qui fait envie, pas trop épais, pas trop léger, un objet qu'on risque de salir, qui doit saisir notre attention, sans encombrer un sac déjà bien chargé.
C'est pour cela qu'Eloise, 34 ans, choisit Bonjour tristesse. Livre de poche léger comme une plume, au style limpide, et d'autant plus immersif que son autrice, Françoise Sagan (alors âgée de 18 ans) invoque bien des sensations estivales en plantant son décor sur la Côte d'Azur. Comment ne pas se reconnaître dans la jeune Cécile, son spleen et sa confusion des sentiments teenage ? Autant d'émotions qui conviennent à la plage, où du déferlement des vagues et du lointain de l'horizon émane une douce mélancolie.
Mélancolie que l'on retrouve dans bien des récits de plages d'ailleurs, du Mal de mer de Marie Darrieussecq à Un jour ce sera vide, le premier roman très remarqué d'Hugo Lindenberg - une histoire d'enfance, d'amitiés et de méduses. "Je pense qu'on choisit dans ce contexte des lectures avec lesquelles on peut cultiver des souvenirs d'été. Je sais bien plus ce que j'ai lu en été ces dernières années qu'aux autres saisons. Je lis Sagan quasi chaque année depuis sa découverte quand j'avais 17 ans parce que : l'été, le premier amour, la légèreté avant la gravité... Les livres de plage évoquent souvent un éden perdu ou idéalisé", détaille Eloise.
"Je me suis souvent demandé ce que pouvait bien signifier 'un livre de plage'. Est-ce un livre où il est question d'ennui, de soleil, de passion, d'été, de sud et de baignade ? Ou simplement un livre que l'on n'a pas envie de lâcher quoiqu'il arrive et que l'on est capable de lire des heures dans une position clairement inconfortable ?", s'interroge en retour Hélène, poétesse de 30 ans. La question fait sens dans une période tout aussi propice aux romans policiers qui se dégomment qu'aux sagas qui vous font voyager.
Dans vos réponses, cet éclectisme apparaît comme une évidence : les enquêtes truculentes de la britannique Agatha Christie, les récits de voyage de Sylvain Tesson, les récits (fleuves) à frissons de Stephen King, les romans d'Elena Ferrante (la tétralogie L'amie prodigieuse), la série historique des Rois Maudits de Maurice Druon (oui oui, le Game of Thrones frenchie). Bref, vous cherchez l'ailleurs, le suspens, l'éclatement du temps - que ces histoires vous ramènent des siècles en arrière ou s'éternisent sur des pages et des pages. Normal : la plage en donne plus qu'il n'en faut, du temps.
"Les choix de livres d'été sont déterminés par le temps qu'on peut y dédier, la disponibilité intellectuelle qui est la nôtre. On est dans un état d'esprit de détente. Mais cela ne veut pas dire lire de mauvaises choses", observe Chloé Saffy, romancière. Son livre fétiche ? Un feuilleton : La bicyclette bleue, trilogie culte de l'autrice féministe Régine Deforges.
"J'ai lu le premier tome à quinze ans. J'aime le relire quand j'ai du temps car il y a beaucoup de volumes, cela se prête donc parfaitement à un contexte de farniente, à de longues lectures. Longues, sans pour autant qu'elles soient denses, intellectuelles, non, plutôt très romanesques", développe celle qui a abandonné l'idée de rattraper les classiques pharaoniques tendance Ulysse (de James Joyce) ou Belle du Seigneur (d'Albert Cohen) durant ces instants suspendus ponctués de châteaux de sable et de citronnades.
"En fait, on cherche avant tout de bonnes histoires bien menées", détaille encore l'autrice d'A fleur de chair. A ce titre, notre interlocutrice nous recommande La conspiration des ténèbres de Théodore Roszack, un captivant thriller mêlant enquête, mystères et cinéphilie. "Un livre de plage est avant tout un 'page-turner', un livre qu'on dévore. Et donc le contenu peut finalement être très divers : ça peut être un policier, un livre d'aventure, un roman d'amour, un livre léger ou très dense, peu importe tant qu'on accroche véritablement", définit à l'unisson Hélène.
En somme, le livre de plage peut revêtir bien des visages : pirateries de Robert Louis Stevenson, polars de Fred Vargas, spleen d'une Carson McCullers (Frankie Addams). "Je pense aussi à des romans comme L'Île d'Arturo d'Elsa Morante ou encore L'été d'Albert Camus", poursuit la poétesse. "L'été, je crois que je n'intellectualise pas mes lectures, je n'ai pas envie de me prendre la tête, mais paradoxalement, c'est la période où je fais le plus attention à ce que je choisis. Ça doit coller au décor", décoche de son côté Eloise.
On retrouve là le paradoxe du livre de plage. Exigeant sans être inaccessible, il doit glisser comme un cocktail glacé, sans pour autant s'oublier. A l'instar du flirt d'été, il semble destiné à devenir un souvenir, doux et marquant. Quitte à perdurer dans nos biblios au fil des saisons.