Le soleil cogne. Fraser (Jack Dylan Grazer) déambule, scrute, furète, assommé par le jet-lag et la chaleur estivale. Ce cool kid dégingandé de New York, aux ongles peints et cheveux décolorés, vient d'atterrir dans une base militaire américaine en Italie où ses deux mères ont été affectées. Un territoire viril, cadenassé, conservateur. Pas franchement l'éclate. Fort heureusement, le petit nouveau bizarroïde va rapidement être happé par une bande de gamins expatriés comme lui, grâce auxquels il va pouvoir s'échapper de l'enceinte plombante. Au coeur de ce joyeux gang, l'intrigante et mutique Caitlin (Jordan Kristine Seamón), fille d'un lieutenant colonel, qu'il va surprendre endossant une identité masculine pour flirter avec les filles du coin. Aimanté·e·s, Fraser et Caitlin vont développer une complicité fusionnelle, faite de silences, de fascination et de questionnements.
L'adolescence, c'est la grande affaire de Luca Guadagnino, le réalisateur du superbe Call Me By Your Name (2017), l'un des plus beaux films sur le premier amour jamais tourné. Pour sa première incursion dans l'univers sériel, le cinéaste italien a choisi de coller aux baskets de ces teenagers un peu paumé·e·s- et très seul·e·s- dans ce petit bout d'Amérique peuplé d'adultes en uniformes. Des ados funambules en équilibre entre deux cultures, deux âges, deux identités, qui veulent jouir, jouer, se saouler, planer, s'aimer sans limites. Et oublier le spectre de la mort qui rôde jamais très loin.
Ode à cet âge des possibles aussi vibrant que chaotique, We Are Who We Are se déploie amplement (huit épisodes d'une heure), toute en langueur. Et compose une fresque poétique et contemplative de cette jeunesse gender-fluid qui refuse de se laisser claquemurer, que cela soit au sein d'une base étriquée que dans des cases bien trop binaires. Guadagnino saisit avec une infinie délicatesse la soif de liberté, capte les pulsations de vie, les colères sourdes, le spleen et les turbulences, les corps qui se découvrent et les désirs qui montent ou se fracassent. Un rêve de série irrigué par la douce lumière lombarde et les nappes electros de Blood Orange.
Nous avons voulu interroger la très prometteuse Jordan Kristine Seamón, qui hypnotise la caméra dans le rôle magnétique de Caitlin/Harper. Tout sourire de l'autre côté de son écran Zoom du côté d'Atlanta, la débutante de 17 ans- qui vient de sortir un album judicieusement intitulé Identity Crisis-, se confie sur cette expérience qui a résonné avec sa propre exploration intime et a littéralement bouleversé sa vie.
Jordan Kristine Seamón : J'étais dans ma voiture, en train de récupérer un McDo au drive- oui, je mangeais mal à cette époque ! Et j'ai hurlé à la jeune femme qui prenait ma commande : "Je vais passer à la télé !". J'étais vraiment super excitée. Et encore, je ne savais pas encore ce qui m'attendait et combien ce rôle serait exigeant.
Caitlin essaie de comprendre qui elle est et envisage d'entamer une transition. Comment as-tu approché ce sujet ?
J.K.S : J'ai discuté avec quelques-un·es de mes ami·e·s qui ont déjà fait leur transition et viennent de l'entamer. Je voulais en savoir davantage sur leur ressenti, sur ce qu'elles et ils traversaient, sur la façon dont cette transition était acceptée par leur famille... J'ai accumulé autant de données intimes que possible et j'ai également fait des recherches. Sachant qu'en plus, j'étais moi-même en train de réfléchir à mon identité de genre. C'est toujours le cas aujourd'hui. Caitlin et moi sommes sur le même bateau !
J.K.S : Oui, ce personnage a eu un énorme retentissement sur la personne que j'étais avant d'accepter ce rôle. J'étais super ouverte sur les questions LGBTQIA+, mais je ne comprenais pas forcément tout car je n'y avais pas été personnellement confrontée. Ce rôle m'a permis de réfléchir à qui je suis, d'en parler. Cela a tout changé.
J.K.S : Caitlin vit une énorme métamorphose. Iel questionne leur (pronom utilisé pour les personnes non-binaires- ndlr) identité de genre. Mais ce n'est pas tant une transition qui attend le personnage. Sans trop en dévoiler sur l'intrigue de la série, cela lui prend un certain temps pour cerner qui iel est exactement. Au final, je ne pense pas recevoir de critiques puisque que ce personnage traverse ce que je traverse moi-même également. Et d'ailleurs, à la fin du tournage, j'ai fini par faire mon coming out gender-fluid.
Caitlin et Fraser ont une amitié très intense. Comment as-tu travaillé cette relation avec ta co-star Jack Dylan Grazer ?
J.K.S : Cela s'est construit dans le temps. Nous nous sommes d'abord rencontrés avant le tournage, en Californie. Il avait l'air drôle et cool. Nous n'avons pas tourné toutes les scènes de façon chronologique et c'est clair que nous avons dû développer une relation amicale très rapidement.
Par exemple, dès les premiers jours, nous avons tourné une scène intense de rasage de tête. Quelqu'un qui te coupe les cheveux, c'est un grand moment, ce n'est pas anodin ! (rires) J'étais très nerveuse à l'idée de me faire couper les cheveux par quelqu'un que je n'avais vu que deux fois auparavant. Mais cela a scellé notre confiance mutuelle. D'ailleurs, je pense que Luca a fait exprès de tourner cette séquence parmi les premières...
J.K.S : Vaste question ! Parlant de ma propre expérience, je dirais que non. Je suis enfant unique. J'ai grandi entourée d'adultes avec lesquels j'avais des conversations de "grands". Et d'ailleurs aujourd'hui, je me sens plus à l'aise avec des personnes plus âgées que moi. Je ne pense pas que la génération de nos parents soit larguée. Le monde change et il est difficile de comprendre ce qu'il se passe, quel que soit notre âge. Je ne pense pas qu'il y ait une déconnexion : on essaie juste de se comprendre mutuellement et cela prend du temps. C'est quelque chose sur lequel il faut travailler.
J.K.S : Oui, car cette représentation est très importante. Je ne vais pas dire que We Are Who We Are est révolutionnaire, mais elle pourrait être clairement impactante pour pas mal de personnes. C'est très bien que de plus en plus de films et de séries intègrent des personnages queers. C'est encore loin d'être parfait, il y a des progrès à faire, la route sera longue. Mais nous ne sommes qu'en 2021 : nous pouvons aller beaucoup plus loin dans ces représentations.
J.K.S : C'est l'une des premières choses à laquelle j'ai pensée. Nous avons grandi avec une représentation très limitée et "sélective". Je trouve ça très cool qu'il y ait aujourd'hui des jeunes qui auront la possibilité de voir mon visage. Même si ce n'est pas le visage le plus incroyable au monde, il sera là, sur leur écran. Et elles et ils pourront se dire que c'est possible, qu'elles et ils pourraient faire la même chose, voire mieux. J'adore penser que des gamins noirs puissent regarder la série et se dire : "Cette personne me ressemble !"
J.K.S : J'adorerais faire quelque chose de drôle, d'amusant. Je ne suis pas la personne la plus hilarante du monde, mais ça me plairait beaucoup. J'adore We Are Who We Are, mais c'était très dramatique. Donc maintenant, je préfèrerais rire plutôt que pleurer.
We Are Who We Are
Une série de Luca Guadagnino
Avec Chloë Sevigny, Jack Dylan Grazer, Jordan Kristine Seamón, Kid Cudi, Francesca Scorsese...
Diffusion dès le 7 mars 2021 sur Starzplay