Pendant plus de quatre ans, les équipes exclusivement féminines de Yann Arthus-Bertrand et Anasatasia Mikova (un choix réfléchi pour faciliter l'échange) ont sillonné la planète pour recueillir les paroles de 2000 femmes. Elles ont enregistré environ trois heures d'entretien avec chacune, minutieusement réécoutés par la suite afin d'en tirer les séquences les plus authentiques, et de composer Woman - un docu poignant qui reste en tête.
De notre côté de l'écran, confortablement installée dans une salle de ciné, on se prend leur témoignage en plein visage. Une vague d'émotions qui nous fait passer du sourire aux larmes, et inversement. Les héroïnes de la suite officieuse du documentaire Human (2015) livrent leur histoire face caméra, sur fond noir. Une mise en scène déjà exploitée auparavant, qui a le don d'intensifier leur récit, comme si elles nous le contaient directement. On ne peut pas échapper au regard franc qu'elles nous lancent sans le savoir. Et on ne veut pas y échapper. Car elles semblent nous avouer leurs souffrances, les injustices qu'elles ont connues, mais aussi leur plaisir, leurs joies et surtout, pourquoi être une femme devrait se célébrer.
"Je ne voulais pas qu'on fasse un film qui soit le catalogue de tout ce que les femmes subissent", explique Anastasia Mikova, co-réalisatrice. "J'avais plutôt envie qu'on pose cette question : qu'est-ce qu'être une femme aujourd'hui ? Montrer que ce n'est pas uniquement un fardeau. Et pour ça, il était nécessaire d'aller vers des sujets très intimes, de toucher quelque chose de profond qui parlerait à chacune d'entre nous." C'est dans cette démarche que le documentaire aborde le corps - "tout y revient", assure la réalisatrice - et la sexualité. Les interrogées y racontent d'ailleurs leur premier orgasme sans passer par quatre chemins. Dans les coulisses en revanche, la traductrice tourne parfois longuement autour du pot avant de poser la question, traduisant un tabou bien présent dans de nombreuses régions du monde.
Autre sujet épineux : les règles et ce qu'elles impliquent de tabous au sein de nos différentes sociétés. Un choix que le réalisateur ne comprend pas tout de suite."Yann m'a d'abord dit : 'Mais pourquoi veux-tu qu'on parle de règles ?'', confie Anastasia Mikova. "Je lui ai répondu qu'il était impossible de monter un film sur les femmes sans parler de règles !"
Yann Arthus-Bertrand avoue à son tour qu'après avoir écouté "deux milles femmes en parler pendant des heures", explique-t-il amusé, il a saisi l'importance du sujet - et de sa présence dans le long-métrage. Il ajoute d'ailleurs que ces interviews l'ont éclairé sur un autre domaine : la maternité. Ou plutôt, le non-désir d'enfant. "Au début, je ne comprenais pas les femmes qui ne voulaient pas d'enfants. Maintenant, si. Quand une femme a un enfant, elle perd quelque chose, les hommes non." Et c'est cette diversité de sujets qui rend le film si important. Pour celles qui le font, mais aussi pour celles et ceux qui le visionnent, et qui assistent à la prononciation si précieuse de ces mots longtemps tus.
"Il y a une libération de la parole qui est incroyable", atteste Yann Arthus-Bertrand, qui dénonce au même moment "le sentiment de honte" que ressentent les victimes de viol et de violences. "Beaucoup de femmes sont venues vers nous pour témoigner, sans qu'on ait besoin de les convaincre". Mais la société est-elle prête à les écouter ? En tout cas, les retours prouvent que Woman touche bien au-delà de la démographie qu'il observe. Chez les hommes par exemple, "une fois qu'ils sont dans le fauteuil, c'est comme s'ils découvraient tout un monde qu'ils ne connaissaient pas, qui leur donne envie d'aller parler aux femmes de leur vie", indique Anastasia Mikova, émue. "Ils se demandent pourquoi ils ne l'ont jamais fait, et c'est le meilleur compliment qu'on puisse recevoir".
Parce que ce film doit compter au-delà des salles de cinéma, Yann Arthus-Bertrand et Anastasia Mikova ont créé Woman(s), une association qui vise à former les femmes du monde entier aux métiers des médias, pour qu'elles aussi puissent continuer de diffuser la parole. Toutes les recettes du film y seront reversées.
Woman, de Yann Arthus Bertrand et Anastasia Mikova, en salles le 6 mars