Le 13 décembre dernier, des dizaines de militantes pour les droits des femmes se sont regroupées devant le tribunal d'État du Salvador. Munies de pancartes "Justice pour Teodora", elles attendaient le verdict d'une affaire aussi délicate que symbolique. Dans ce petit pays d'Amérique centrale, où l'avortement est considéré comme un crime en toutes circonstances, l'opinion publique attend de savoir de ce qu'il va advenir de Teodora Vázquez, 34 ans, dont dix passés derrière les barreaux. En 2008, cette jeune femme a été condamnée pour homicide aggravée pour avoir, sur son lieu de travail, été victime d'une fausse couche alors qu'elle entamait son neuvième mois de grossesse.
À l'époque, l'affaire avait déjà ému et révolté. Le verdict est d'autant plus incompréhensible aujourd'hui qu'il a été confirmé en appel par le tribunal de justice. "La cour a conclu que la dernière condamnation de Teodora Vázquez doit être confirmée", a déclaré un juge de la deuxième chambre de première instance de San Salvador après une heure de délibérations, relate Le Figaro. Les trois ont en effet estimé que "la preuve de son innocence n'a pas pu être apportée de manière catégorique".
Pourtant, les zones d'ombre ne manquent pas dans cette affaire, qui remonte à juillet 2007. À cette époque, Teodora Vázquez, 24 ans, travaille au collège de San Salvador. Alors qu'elle se trouve sur son lieu de travail, la jeune femme, enceinte de neuf mois, ressent de vives douleurs au ventre et constate qu'elle saigne abondamment. Elle appelle alors les urgences depuis les toilettes, où elle est retrouvée inconsciente par une autre employée du collège, qui, à la vue du bébé mort-né "au milieu d'une mare de sang", a appelé la police. Lorsqu'elle reprend connaissance, Teodora Vázquez découvre l'effroyable scène et apprend en même temps qu'on l'accuse d'avoir étouffé l'enfant.
Condamnée en 2008 pour "homicide aggravé", Teodora Vázquez n'a pas bénéficié, selon ses défenseurs, d'un procès équitable. Une thèse corroborée par l'ONG de défense des droits humains Amnestiy International, qui a dénoncé un procès "marqué par de nombreuses irrégularités". "L'histoire tragique de Teodora est la triste illustration de tous les défauts du système judiciaire du Salvador, où les droits humains semblent être un concept étranger" a déclaré Erika Guevara-Rosas, la directrice d'Amnesty International en Amérique, citée par Les Nouvelles News. Pour elle, il ne fait aucun doute que Teodora Vázquez a été la victime d'un système "discriminatoire et misogyne".
Si l'affaire Teodora Vázquez est aussi symbolique, c'est que la jeune femme est loin d'être la seule à être injustement emprisonnée suite à un avortement ou une fausse couche. Selon France Info, elles seraient 26 dans le pays à être aujourd'hui derrière les barreaux pour le même motif. "Une fois de plus nous sommes convaincues que les femmes vont continuer à se battre parce que c'est une injustice ! La justice condamne tellement de femmes de manière injuste", se sont indignées les manifestantes à l'annonce du verdict.
Actuellement, le code pénal salvadorien prévoit une peine de deux à huit ans de prison pour les cas d'avortement. Or, dans les faits, la justice considère qu'une interruption de grossesse ou une fausse couche est un "homicide aggravé", un crime passible de 30 à 50 ans de réclusion.
Si depuis octobre 2016, le Parlement du Salvador une proposition de loi pour dépénaliser l'avortement en cas de viol, de danger de mort pour la mère ou de foetus non-viable a été déposée et n'a toujours pas été examinée. Or, le statu quo actuel est une grave atteinte à la liberté des femmes à être maîtresses de leur corps, selon les organisations internationales. L'histoire de Teodora Vázquez a d'ailleurs dépassé les frontières du pays pour devenir un sujet de débat au Parlement européen. Le 14 décembre dernier, les eurodéputés ont déposé une résolution commune pour réclamer la "libération immédiate et inconditionnelle" des femmes et jeunes filles "ayant fait des fausses couches ou accouchant d'enfants morts-nés".