"Il est temps d'être au rendez-vous de notre Histoire. Disons aujourd'hui à nos filles, nos nièces, nos petites-filles : Vous êtes désormais, et à jamais, libres de choisir vos vies". Ils claquent, ces mots de la sénatrice écolo Mélanie Vogel, non ? On a pu les entendre au lendemain du vote positif (à l'unanimité) du Sénat pour l'introduction de la "liberté" à recourir à l'IVG dans la Constitution. "Oui" majoritaire, comme celui des députés à l'Assemblée.
Un jour historique pour les militantes féministes. Mais malgré ces 267 voix positives contre 50 contre, il faut encore et toujours rappeler pourquoi le droit à l'avortement demeure une lutte de tous les instants. Et cela, un film très important le démontre : L'événement d'Audrey Diwan, couronné à la Mostra de Venise. Entièrement perçu du point de vue féminin, celui de notre protagoniste, c'est un récit organique, puissant, dévastateur.
Dans ce film à retrouver gratuitement en streaming sur francetv jusqu'au 12 mars prochain (ne perdez pas de temps !) on suit la déterminée Anne, étudiante en lettres de 23 ans, bien décidée, dans la France du tout début des années soixante, à ne pas garder son enfant - synonyme pour elle d'avenir au foyer, et donc de carrière déjà enterrée. Mais comment avorter dans une société qui l'interdit ? Question rhétorique, auquel répond une course contre la montre...
Annie Ernaux a du attendre ses 82 ans pour obtenir le prix Nobel de littérature. Le sacre longtemps attendu d'une grande voix féministe, sociologique et politique, ayant abordé le fléau des féminicides, les luttes de classe, la condition de transfuge, la condition féminine, celle des femmes au foyer, mais aussi... L'avortement, et son statut en tant que droit fondamental, dans son livre L'événement, dont s'inspire ce film sidérant.
Pourquoi, sidérant ? Par son dispositif de mise en scène, toujours au plus près des affects, émotions, sensations, angoisses et observations de son personnage féminin. Une profonde exploration du "female gaze", ce regard si singulier largement théorisé par la critique cinéma Iris Brey dans son ouvrage "Le regard féminin". Audrey Diwan sublime ce point de vue, elle nous y plonge, quitte à nous bousculer, nous tétaniser, nous faire mal.
Et ce à travers le compte à rebours semaine après semaine du parcours de notre jeune étudiante, cherchant à avorter dans une société qui condamne les femmes désireuses de faire entendre le droit à disposer librement de leur corps : condamnation par la justice, condamnation directe ou indirecte à la mort - avortements clandestins, dangereux, décès à l'hôpital, ou jugements sévères au tribunal... Tout cela est d'une redoutable véracité.
Sidérant, par ses partis pris artistiques également, comme celui d'une crudité frontale, d'un corps qui se dévoile sans le moindre filtre, pour mieux faire entendre la portée ouvertement intime et politique de son discours, portée littéralement à bras le corps. C'est aussi cohérent que féministe.
Ca se visionne ici. Immanquable.