Poursuivant aujourd'hui encore une oeuvre littéraire qui se compte en décennies, Annie Ernaux a du attendre ses 82 ans pour obtenir la récompense suprême : le prix Nobel de littérature. C'était en 2022 et le sacre était pour le moins mérité. Il a remis sur le devant de la scène une autrice essentielle.
Et ce, très concrètement : ce sésame a rapidement entraîné une rupture de stock des romans de l'autrice, et incité la maison d'édition Gallimard à lancer la réimpression de pas moins de 900 000 exemplaires de ses ouvrages, en grands formats et poches (collection Folio). Mais bien des mois plus tard, la reconnaissance de cette grande dame n'est pas achevée : Annie Ernaux vient de recevoir un nouveau prix littéraire...
Ce 3 avril, la romancière a effectivement été élue autrice de l'année aux Trophées de l'édition, remis chaque année par les abonnés du magazine littéraire Livres Hebdo. Et ce, face à des cadors des ventes comme Guillaume Musso et Amélie Nothomb. La classe. Raison de plus pour dévorer son oeuvre.
"Ce prix a une grande valeur pour moi parce qu'il est décerné par toute la chaîne du livre. Je sais qu'il y a toute cette puissance, cette collectivité autour de moi", s'est réjouie la lauréate. Un prix bien mérité, et plus d'actu qu'on ne pourrait le croire : car la voix d'Annie Ernaux n'a jamais semblé autant en phase avec son temps.
Mais pourquoi donc ? C'est simple : Annie Ernaux, c'est à la fois une grande voix féministe, sociologique et politique. Dans des romans comme La place, dédié à son père, elle aborde frontalement la violence de classe, thématique qui résonne en cette période de manifs et de contestations populaires.
Dans La honte, elle aborde dès les premières lignes et d'une manière dramatiquement personnelle le fléau des féminicides, relaté par des associations et militantes aujourd'hui.
Et puis il y a bien sûr La femme gelée, portrait de femme (au foyer) au style éclatant, qui tout au long de ses chapitres et de ses thématiques (éducation, culpabilité féminine, découverte de la sexualité, consumérisme) étend son voile sur l'ensemble de la condition féminine, révélant pressions, injonctions et inégalités de genre. Si l'histoire nous plonge dans le siècle dernier, bien des formulations ne s'avèrent guère démodées.
Dans le style "expérience féminine", impossible de ne pas être emporté par Une femme, récit de la mère de l'autrice, de son expérience de la maladie, et du deuil. L'occasion d'évoquer d'une manière très incarnée un autre thème qui éveille tous les débats : la place des personnes âgées dans notre société.
Mais on pourrait encore louer la modernité d'un roman incisif comme Passion simple, histoire d'une relation aussi passionnelle qu'éphémère entre l'autrice et un homme. Et une façon pour celle-ci d'aborder frontalement la sexualité féminine, le plaisir, la liberté éprouvée à disposer de son propre désir.
Autant de sujets que l'on retrouve volontiers dans bien des comptes Insta "sex positive" à succès, qui concilient sexe et émancipation féministe.
"Annie Ernaux touche toutes les générations. Elle a vendu près de 4 millions de livres. C'est une écrivaine reconnue avec une forte notoriété. Elle n'a pas attendu le prix Nobel pour rencontrer un large public", expliquait à raison l'éditeur Jean-Charles Grunstein.
Raison de plus pour foncer en librairies si ce n'est déjà fait.