Cette semaine, les manifestations se poursuivent dans plusieurs villes de France, dont Paris, d'autant plus depuis le recours par le gouvernement de l'article 49.3 pour forcer le passage d'un projet de loi très débattu : la réforme des retraites, imposant un recul de l'âge légal de départ de 62 à 64 ans à partir de 2030. Ce jeudi 23 mars sera précisément la neuvième journée de mobilisation nationale organisée contre cette réforme.
Mobilisation qui semble fédérer de plus en plus, et pas simplement les "habitués" des mouvements sociaux : de Twitter à TikTok, nombreux sont depuis quelques jours les influenceurs à sensibiliser les plus jeunes : des personnalités comme Freddy Gladieux, Antoine Daniel, Seb la Frite, Mastu, Léna Situations...
Tant et si bien "grèves" et "manifs" n'ont plus rien d'abstrait pour beaucoup et que les enjeux qu'ils cristallisent semblent déjà réconcilier les générations. Et pourtant, dans les jours à venir, certains, qui souhaitent défendre leurs droits d'aujourd'hui et de demain, expérimenteront certainement leur toute première manif'.
D'où cette question naturelle : je dois penser à quoi au juste, si je vais manifester ?
Oui, c'est tout bête. Mais on aurait tort de prendre la formule à la légère.
Petit rappel des réjouissances : manifester fait partie des libertés fondamentales des français, inscrites dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La Déclaration du 26 août 1789 le suggère dans son article 11 ("la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme") tandis que le décret du 23 octobre 1935 est venu poser noir sur blanc la réglementation de la manifestation sur voie publique.
D'accord, mais pourquoi manifester spécialement contre la réforme des retraites ?
Le mieux est encore de s'informer, à travers les médias et les voix expertes. Militantes, sociologues et économistes s'alarment par exemple des incidences directes du recul de l'âge légal à la retraite pour l'égalité femmes/hommes, dans une société déjà très marquée par les inégalités salariales - car oui, les salaires des femmes sont encore inférieurs en moyenne de 22% à ceux des hommes, d'après les chiffres de l'Insee.
Auprès du JDD, la maîtresse de conférences en sociologie à l'université du Havre Roxana Eleta de Filippis explique par exemple que ce sont avant tout les différences de salaire de référence qui créent l'écart de retraite entre les hommes et les femmes. Tant et si bien que le plus puissant moyen de réduire les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes serait en priorité... "de limiter les inégalités de carrière".
De quoi laisser libre cours à l'introspection critique.
C'est le b-a-ba des manifs : avoir une pancarte avec un bon slogan dessus. Parmi les florilèges de photos de mobilisations qui circulent ces neuf derniers jours, les phrases-chocs se multiplient pour exprimer le mécontentement et l'indignation, avec moult jeux de mots, ironie et autres sens de la formule.
Exemples ? Le désormais célèbre "Borne out", croisement entre le "burn out" (apparemment inévitable quand l'âge de la retraite s'éternise) et le patronyme de la Première ministre. Mais aussi toute une série de formules : "L'eau bout à 100 degrés, le peuple à 49.3", "La retraite à 49,3 ans", "Et si on était 49,3 millions dans la rue ?", se rapportant toutes au recours à l'article 49.3 de la Constitution finalement déployé par le gouvernement.
Ou encore : "Le peuple ne battra pas la retraite", "Métro boulot tombeau", "Tu nous met 64, on te met 68"... Cependant, à ne pas oublier, même si ça coule de source : en aucun cas, ces pancartes ne doivent afficher des formulations qui incitent à la haine et/ou à la violence. Elles deviennent dès lors contraires à la loi.
"Sérum phy" pour sérum physiologique. On dit "sérum" mais il faudrait plutôt parler de "liquide physiologique". On emploie ce mix d'eau purifiée et de chlorure de sodium pour désinfecter les plaies ou nettoyer les yeux. Dans les manifestations, cette solution est notamment employée pour atténuer les effets des gaz lacrymogènes.
Cependant, son usage en manif' a déjà été contesté. Notamment en décembre 2018, lorsque plusieurs manifestants affirmaient sur Twitter que leurs sérums avaient été confisqués en amont d'une manifestation.
Un an plus tôt, Amnesty International rétorquait déjà à ces éventualités. Selon un rapport de l'ONG intitulé "France : le droit de manifester menacé", la confiscation d'outils dits "de premiers secours", tels que les sérums physiologiques "est contraire au droit international".
"Le fait que du matériel de premier secours ait été confisqué est choquant, car ce matériel peut être indispensable pour prodiguer des soins de première urgence", déplore Amnesty.
Est naturellement et logiquement intégré au droit par contre, le fait de punir de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende toute personne participant à une manif en étant porteur d'arme. L'article 132-75 du code pénal définit une arme comme "tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes". Tel que l'énonce le Huff Post, "des objets ramassés , comme des pierres, ont ainsi peu être qualifiés d'armes".
Confinement ou non, mobilisations ou pas, le Covid perdure malgré tout dans l'Hexagone. Et si une manif se déroule en plein air, conditions amoindrissant le risque de contamination - et de "cluster-isation" comme disent les adeptes du franglais - les mouvements de foule rendent d'autant plus nécessaire le port du masque.
Le 21 mars dernier, ce sont 11 519 nouveaux cas de Covid qui ont été confirmés en France, et ce en l'espace d'une semaine, selon le site d'informations du Ministère de la santé publique.
Rappelons-le au cas où : il est interdit de se couvrir intégralement le visage lors d'une manif'.
Oui, ca semble anecdotique mais une manif, c'est long, remuant physiquement, ca exige un certain effort, de l'énergie et du temps : d'où l'intérêt d'apporter son déj. Quitte à le partager avec ses voisins alentours.
N'importe quel "tuto manif" l'énonce volontiers : dans une manif, il est toujours recommandé d'avoir ses papiers d'identité sur soi. Notamment pour prévenir les situations de contrôle par les forces de l'ordre.
"Laisse parler les gens", proposait un tube des années 2000. Chiche ?
Droit fondamental, la manifestation est décrite par le site de la Vie publique comme un "événement traditionnel de la vie politique et sociale". Mais plus encore, c'est une réunion organisée dans le but "d'exprimer une conviction collective". Collective : cela veut bien dire ce que va dire. D'où l'intérêt d'écouter celles et ceux qui sont directement concernés : de prendre en compte les paroles des salariés, des précaires, des jeunes.
Ces très nombreux témoignages mettent en évidence une pluralité de profils - professionnels, générationnels, culturels. De tout âge et de tout milieu. Cela permet de comprendre pourquoi bien des individus s'engagent à défendre leurs droits, quand bien même leurs conditions de vie ou de travail diffèrent. C'est important.
Ainsi Radio France a-t-elle réuni pas moins de quatre générations pour énumérer les raisons de la colère : Sentiment de ne pas être écouté, souffrance de "travailler plus dur et plus longtemps", pénibilité du travail déjà accablante, climat d'incertitude face à l'avenir, expérience de l'inflation, peur de la "précarité à vie"...
Une lecture d'utilité publique. Ca ne peut pas faire de mal.