Trois hommes armés sur une moto roulant vers elle, c'est la dernière chose qu'a vue Khatera. La jeune femme de 33 ans a été poignardée au visage et blessée par balle. Elle s'est réveillée aveugle, à l'hôpital. Khatera, dont le nom de famille n'est pas communiqué, venait d'intégrer, trois mois auparavant, la police de Ghazni, ville située au sud-ouest de Kaboul, comme officier de la branche criminelle. Un emploi que sa famille n'approuvait pas. Son père, surtout, qui s'était opposé avec véhémence à ce qu'elle travaille. Elle l'accuse d'ailleurs d'avoir "commandité" l'attaque, qui aurait été perpétrée par des talibans, lesquels nient pourtant toute implication.
Depuis toute petite, Khatera souhaitait entamer une carrière en dehors de la maison. Et après des années à essayer de convaincre son père, en vain, elle a pu trouver un soutien auprès de son mari. Le premier, confie-t-elle aux journalistes de Reuters, n'a pas changé d'avis. "Il a commencé à contacter les talibans de la région et leur a demandé de m'empêcher de me rendre à mon travail", assure la jeune femme.
Elle l'affirme : l'homme leur aurait fourni une copie de sa carte d'identité pour prouver que sa fille oeuvrait au sein de la police. Il l'aurait d'ailleurs appelée tout au long de la journée de l'attaque pour lui demander où elle se trouvait exactement. "J'aurais aimé servir dans la police pendant au moins un an", lâche Khatera. "Si cela m'était arrivé après cela, cela aurait été moins douloureux. Ça s'est passé trop tôt... Je n'ai pu travailler et vivre mon rêve que pendant trois mois".
Le père est aujourd'hui en détention, affirme le porte-parole de la police de Ghazni, pour qui les talibans seraient aussi derrière l'attaque. Pour les associations de défense des droits des femmes pourtant, leur influence grandissante couplée à des normes sociales conservatrices provoquent une réaction intense et souvent violente contre les femmes afghanes qui prennent des emplois, en particulier dans la fonction publique.
Depuis la mi-septembre, le gouvernement afghan et les talibans sont en plein pourparlers de paix, à Doha, au Qatar. Beaucoup de jeunes craignent que les discussions - particulièrement lentes - se concluent par leur retour officiel au pouvoir, et la perte d'une liberté précieuse.
Au Los Angeles Times, Khurshid Muhammadi, 16 ans, joueuse de l'équipe nationale féminine de football afghane, interroge : "Qu'adviendra-t-il de nos réalisations ? Nous pourrions ne pas pouvoir travailler et devoir à nouveau porter des burqas de la tête aux pieds que les talibans ont autrefois obligé les femmes à porter en public". Au même moment, le pays connaît une recrudescence d'agressions contre des fonctionnaires et des femmes importantes dans tout le pays, rapporte l'agence de presse américaine.
"Bien que la situation des Afghanes qui occupent des fonctions publiques ait toujours été périlleuse, la récente flambée de violence dans tout le pays a encore aggravé les choses", déclare Samira Hamidi, responsable de la campagne d'Amnesty International en Afghanistan. Elle alerte : "Les grands progrès réalisés en matière de droits des femmes en Afghanistan depuis plus d'une décennie ne doivent pas devenir menacés par un quelconque accord de paix avec les talibans".
Ces derniers mois, les talibans ont déclaré qu'ils respecteraient les droits des femmes en vertu de la charia (loi islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle, appliquée de manière stricte dans certains États), mais nombreuses sont celles qui en doutent sévèrement. Pour preuve : le mouvement fondamentaliste s'est récemment opposé à une réforme visant à ajouter le nom des mères sur les cartes d'identité.
Khatera, elle, a fui sa ville d'origine pour se cacher à Kaboul, en compagnie de son mari et de ses cinq enfants. Elle espère pouvoir un jour retrouver la vue, pour pouvoir sortir sa famille de la misère, mais aussi poursuivre une carrière qui la passionne.