Ne plus être la "femme de", la "mère de" ou la "soeur de", mais exister par sa propre identité. Si cela semble tout à fait normal dans nos pays occidentaux, les femmes qui vivent en Afghanistan n'ont pas ce privilège.
Malgré la chute du régime taliban depuis 2001, les femmes n'ont toujours pas de réelle identité. Enfin, elles en ont une, mais celle-ci demeure quasi-inexistante. Constamment désignées en fonction du "statut" des hommes qui les entourent, elles se font par exemple prescrire les médicaments sous le nom de leur époux afin d'éviter de donner le leur.
Les noms des pères et des maris sont systématiquement mis en avant sur les invitations de mariage. Parfois, le nom des femmes ne figure même pas sur le faire-part. Leur plaque funéraire ne mentionne pas non plus leur nom, mais seulement celui des hommes de sa famille.
Un système encore très patriarcal qui bafoue le droit des femmes, même s'il tend à se libéraliser peu à peu. Décidées à changer la donne et à briser les tabous, des militantes afghanes ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux qui réclame l'usage des noms des femmes dans la sphère publique, rapporte le New York Times.
Symbolisé par le hastag #WhereIsMyName ("où est mon nom") ce mouvement identitaire se déploie sur Twitter, Facebook, Instagram et autres réseaux sociaux. L'objectif ? Faire entrer les noms des femmes afghanes dans les documents officiels et inciter ces dernières à réaffirmer leur propre identité. "Les femmes sont considérées comme le deuxième sexe et la propriété des hommes. Nous essayons de prendre en main nos identités et de les libérer", a expliqué l'activiste et écrivaine Bahar Sohaili, à l'origine du mouvement.
Une autre activiste, Batool Mohammadi, se remémore le moment où elle a pris conscience de l'invisibilité des femmes dans son pays. "Je suis allée au bureau d'une banque privée pour remplir un formulaire. Quand le manager m'a demandé le prénom de ma mère, j'ai marqué une pause, parce qu'en fait je l'avais oublié. Toutes ces années, personne n'avait demandé son prénom ou ne l'avait appelée par son prénom", raconte-elle. Et d'ajouter : "Notre pépiniériste me désigne toujours par le nom de mon fils. Il m'appelle "la mère de Samuel". En public, on nous appelle "celle aux cheveux noirs", "les faibles" ou "tante" quel que soit notre âge", explique la militante.
Mais dans un pays où les femmes sont toujours relayées au second rang et où le pouvoir est confié aux hommes (même si elles représentent 27,7 % des députés, un taux supérieur à la moyenne mondiale de 21,7%), il est difficile pour elles d'élever la voix et de dénoncer ces pratiques. Elles n'ont de prise ni sur leur identité, ni sur leur corps, ni sur leurs actions. Elles ne peuvent même pas contrôler leur propre vie.
Une photographe basée à Kaboul raconte à la Thompson Reuters Foundation ses rencontres avec les femmes afghanes : "quand je leur demande de les interviewer ou de les prendre en photo, elles me disent : "attendez je vais demander à mon mari, mon père ou mon frère s'ils me le permettent".
Dans le New-York Times, le sociologue afghan Hassan Rizayee explique que le corps d'une femme appartient à un homme. "Les autres ne devraient pas en disposer, même en la regardant. De même, le prénom de la femme appartient à l'homme".
En l'espace de quelques semaines, l'initiative a largement été relayée sur les réseaux sociaux. Farhad Darya, un chanteur afghan très populaire, a lui aussi partagé le mouvement et a même choisi de citer les noms des femmes de sa famille pendant ses concerts. Un parti pris qui ne plaît pas à tout le monde. "Souvent, devant une foule avec laquelle je ne partage pas de liens familiaux, je remarque le plissement des fronts des hommes qui me trouvent lâche pour avoir mentionné les noms de ma mère ou de mon épouse", raconte-t-il dans un post Facebook. "Ils me regardent comme si j'étais le plus grand lâche du monde, comme si je ne connaissais rien sur l'honneur et les traditions afghanes", ajoute-t-il.
De leur côté, Bahar Sohaili et les autres militantes somment le gouvernement de mettre le nom de la mère sur les nouvelles cartes nationales d'identité électroniques. Mais malheureusement, la partie semble loin d'être gagnée. "Les gens de la culture afghane ne sont pas prêts pour cette étape moderne. Ça pourrait générer un tumulte gênant", a déclaré un porte-parole de la Cour suprême de Kaboul à la Thompson Reuters Foundation.
En Afghanistan, ce manque de considération envers la gent féminine va tellement loin qu'il se répercute même sur la publicité, où les femmes sont persona non grata. Sans compter que le taux de suicide chez les afghanes a malheureusement explosé ces dernières années en raison des mariages forcés. Il est donc urgent que ces femmes existent pour ce qu'elles sont réellement.