17 avril 2020. Le monde subit de plein fouet la crise du Covid-19, qui paralyse la vie qu'on qualifiait jusqu'ici de "normale". Dans ce contexte sanitaire catastrophique grandit un tout autre fléau : la stigmatisation et le racisme à l'encontre de la communauté asiatique. Depuis le début de l'année, les attaques qui la ciblent ne cessent de croître (aux Etats-Unis, la police new-yorkaise a même relevé une dramatique augmentation de 1 900 % des agressions anti-asiatiques en 2020).
Le même jour, Sororasie publie son tout premier post.
Nouveau sur Instagram, le compte part du constat qu'il n'existe aucun réseau créé pour que les femmes et personnes issues des minorités de genre asiatiques puissent se rencontrer, se confier, se sentir comprises et écoutées. Et il est grand temps d'y remédier, pensent ses créatrices.
Naît alors un "espace solidaire et sécurisé" qui leur permet de "se connecter, de s'entraider, de partager et de s'empouvoirer". Une page et un webzine asio-féministes, où elles peuvent livrer leurs témoignages, découvrir des portraits de profils qui leur ressemblent, amplifier leurs voix et adresser le racisme systémique largement banalisé en France. Un feed riche en ouvrages et en documentation, aussi, qui décortique et déconstruit au passage de nombreux acquis.
Après quasi un an d'existence, et environ 9500 abonné·e·s au compteur, Sororasie présente aujourd'hui Asidentités. Une future expo multidimensionnelle réalisée par 10 photographes-vidéastes (9 femmes et un homme), qui mettra en scène plus de 150 mannequins d'un jour derrière l'objectif, donnant vie à des images puissantes aux couleurs vibrantes.
"Dans le milieu de la photographie très peu mixte (en 2017, 30 % des photographes seulement étaient des femmes d'après l'Insee, ndlr) et peu racisé, faire appel à une équipe entièrement composée de femmes asiatiques [incarnait] à lui seul un challenge important", écrit Sororasie dans un communiqué. "La convergence de talents féminins issus de différents corps artistiques était en soi un symbole pour créer une oeuvre originale qui tente de s'émanciper du male gaze".
Le but : "décentrer le regard occidental qui pèse sur les communautés asiatiques et promouvoir une vision qui s'inscrit en dehors des normes patriarcales et des stéréotypes", d'abord. "Ouvrir de nouvelles perspectives et de nouveaux regards, à travers portraits, récits et témoignages", ensuite. Mais aussi épingler le manque de diversité dans l'industrie de la beauté, et les multiples oppressions "liées à la fétichisation, l'hypersexualisation, ainsi que les standards de beauté eurocentrés", que subissent celleux qui s'y identifient.
Un "projet gargantuesque", nous explique Amanda, co-fondatrice du compte, shooté en septembre et octobre 2020 et pour lequel il n'y a eu aucune sélection. "Ces personnes se sont présentées à moi suite à un appel à candidature autour de la diversité des représentations de femmes panasiatiques", précise-t-elle. L'objectif est alors de regrouper 30 modèles, la liste s'allonge rapidement. Et pour le meilleur.
"Par ailleurs, entre la première et deuxième semaine de session shooting, c'est en discutant avec Kevin Tran Kieu, photographe réalisateurice non-binaire, qu'iel m'a fait prendre conscience du manque d'inclusion notamment des minorités de genre asiatiques", poursuit Amanda. "Nous avons donc fait un appel spécifique pour demander à nos adelphes transgenres et non-binaires asiatiques de nous rejoindre pour la deuxième session."
La militante insiste sur ce qui a motivé leur démarche : le "caractère urgent et vital" de la représentation, "qui a cruellement manqué les années passées", pour "montrer que nous ne composons pas un mono bloc homogène". Car, elle alerte, cette situation peut entraîner chez les concerné·e·s "des difficultés à s'accepter, des questions identitaires - notamment le sentiment d'être 'coincé·e·s' entre plusieurs cultures - ou encore le syndrome de l'imposteur·rice."
"A travers une exposition aussi grande, on aimerait que les personnes des diasporas asiatiques se sentent représentées, célébrées dans toutes leur splendeur, leur singularité et leurs héritages culturels. Qu'iels se retrouvent dans ces images. On exposerait l'extérieur des corps mais également l'intérieur en mettant en perspectives leurs expériences de vie et leurs ressentis à travers un travail audio et documentaire vidéo, qui recueillent plusieurs témoignages des participant·e·s et de l'équipe."
Et de poursuivre : "On veut transmettre un sentiment d'adelphité (solidarité entre humain·e·s qui reconnaît et inclut les personnes transgenres et non-binaires, ndlr) pour se guérir, pour s'empouvoirer et se (re)construire ensemble, mais aussi montrer qu'on existe. Nos histoires, nos voix, nos images, nos multiples identités comptent et composent la France."
Amanda souligne également que si l'asio-féminisme peut s'exprimer pleinement aujourd'hui, c'est en grande partie grâce à l'afroféminisme, duquel il "s'inspire énormément". "Les femmes et minorités de genre noires ont bâti une structure solide pour le féminisme des personnes racisées, et cela sans aucune référence avant iels. Cette voie déjà pavée nous a énormément aidées à nous regrouper et à nous organiser." Et de reconnaître : "Beaucoup des idées photos lors de notre projet Asidentités ont été inspirées de photoshoots faits par et pour des femmes et minorités de genre noires, autour des thèmes de la body-neutralité et de l'adelphité."
Enfin, elle conclut : "Ce projet a tenté de réunir, de trouver de l'apaisement et de la solidarité dans ces temps compliqués particulièrement pour ces communautés." A regarder, à partager et à soutenir prestement, donc. Et pour ce faire, une collecte a été créée afin d'aider à financer les artistes, ainsi que plusieurs expositions en France. On s'y dirige sans attendre.