En 1971, Joyce Maynard a 18 ans et étudie à Yale. Sans complexe aucun, elle écrit au directeur du New York Times pour lui suggérer de lui commander un article. Sans doute piqué par l’audace de la jeune fille, ce dernier accepte et lui demande d’écrire sur sa « génération ».
L’article paraît le 23 avril 1972 : « J'ai grandi sans beaucoup d'illusions. Nous étions raisonnables, réalistes, prosaïques, sans romantisme, nous avions conscience des problèmes sociaux et étions politisés. Les Kennedy étaient les héros de nos contes de fées, l'intégration, la conquête de l'espace et la Bombe les trames de nos premières années scolaires... » Il lui vaut un statut de porte-parole d’une génération grandie dans les années 1960 et une quantité de courriers dont la lettre du mythique J.D. Salinger (qui a publié L'Attrape-cœurs en 1951, le roman obtient et connaît toujours un succès phénoménal). Le romancier a trente-cinq ans de plus qu’elle. Ils vivront une relation passionnelle aussi courte que douloureuse qu’elle racontera dans Et devant moi le monde (1998).
Une adolescence américaine, conséquence et suite de l’article de 1972, paraît un an après lui. Suivront Baby Love, Prête à tout, adapté au cinéma par Gus Van Sant, Long week-end, dont l’adaptation avec Kate Winslet devrait sortir en 2013 ou Les filles de l’ouragan.
L’histoire
Fin des années 1970, dans une petite ville du fin fond de l’Amérique où « toutes les filles épousent leur petit copain d’école et ont déjà une dizaine de mômes à dix-huit ans »... Sandy (18 ans en effet) est mariée depuis plus d'un an, mère parfaite et parfaite mère au foyer, elle essaie de se conforter dans l’idée qu’elle mène une vie idéale dans son « nid d’amour ». Tara, 16 ans, paumée, élève seule son bébé, tout comme Wanda, tombée enceinte bien malgré elle, à l’arrière de la voiture de son petit-ami. Débordée par les cris et les coliques de sa fille, elle a peur d’y être allé un peu fort pour la faire taire. Quant à Jill, elle est lycéenne, habite toujours chez ses parents et essaie avec désespoir de réunir l’argent pour se faire avorter.
Dans une succession de saynètes, Joyce Maynard déroule le quotidien de ces quatre amies, bizarrement ingénues et matures et explore crûment mais subtilement ce qui se passe quand celles qui ne sont encore que des enfants deviennent mères. Se mêlent à cela les parcours d’Ann, de Carla, et de Mrs Ramsay d’autres femmes, tout aussi fragiles et effrayantes, et la chronique sociale vire au drame.
La première page
« Quatre filles sont assises sur les marches devant le Lavomat, par une chaleur exceptionnelle pour un mois de mai. Elles partagent à trois le même sèche-linge, dans lequel chacune vient d’introduire une pièce de dix cents. Sandy, qui emploie les couches Pampers et n’a pas de lessive à faire aujourd’hui, est venue leur tenir compagnie. Tara aurait pu aussi attendre à demain pour la sienne mais, comme elle a tressé une mèche du duvet blond de Sunshine et noué un ruban autour, elle a voulu que les autres la voient… Surtout Wanda, dont le bébé a perdu les épais cheveux noirs qu’elle avait à la naissance et a maintenant le crâne tout chauve.
Sandy, qui a dix-huit ans, est mariée. Les autres ont seize ans. Elles portent des jeans taille 38, sauf Wanda qui mettait du 36 avant sa grossesse mais a pris vingt-sept kilos depuis et en a encore dix-huit à perdre.
« J’ai acheté du beurre de cacao à la boutique de diététique, confie Sandy à Jill en remontant sa chemise indienne pour lui montrer son ventre. Regarde, pas de vergetures. »
Jill vient de leur raconter que ses règles sont en retard de six semaines et quatre jours, et qu’elle est certaine d’être enceinte. Si c’est un garçon, elle l’appellera Patrick, comme son acteur préféré dans Dallas. »
Baby Love de Joyce Maynard, réédité chez Philippe Rey, 19€