"Vous ne pouvez pas ignorer un grand, vieux et joli cheval avec une femme noire dessus". Cette punchline est la devise de Brianna Noble, devenue superstar en quelques jours seulement. Cette monitrice d'équitation a fait sensation lors de la récente marche d'Oakland organisée à la mémoire de George Floyd. Comment ? En débarquant sur les lieux, deux heures avant les manifestations, à dos de cheval.
Entre performance insolite et audace "badass", la cavalière professionnelle afro-américaine a marqué les esprits. Jusqu'à devenir un véritable symbole révolutionnaire.
Il faut dire que l'on a déjà connu duo moins emblématique que cette jeune femme de 25 ans, le poing au ciel, et son valeureux Dapper Dan (le cheval, donc). Acclamée dans les rues américaines mais aussi sur la Toile, la sportive a engendré des milliers de commentaires enthousiastes. En première ligne des mobilisations anti-racisme, Brianna Noble fait honneur à la génération Black Lives Matter ("Les vies noires comptent") et bouscule l'opinion publique.
A l'origine de son geste épique, un désir, formulé dans les pages de The Lily : être au centre de l'attention pour que les médias ne réduisent pas ces marches citoyennes aux "pillages et voitures en feu", ces images volées susceptibles de diaboliser une quête de justice sociale. Aux côtés de Dapper Dan, Brianna Noble ne souhaitait rien de moins que "changer l'Histoire".
"J'ai prouvé à quel point les chevaux peuvent faire la différence et peuvent inspirer des changements. Il est plus important d'essayer de changer le futur, car ce sont les enfants qui vont empêcher les meurtres de se produire. Ce sont les enfants qui vont changer les choses et rendre le monde meilleur", a déclaré la principale concernée au média américain. Et pour cause, sa déambulation en a inspiré plus d'un(e).
Alors que certains artistes lui consacrent déjà des fresques ou même des bandes dessinées, les clichés pris lors de sa balade génèrent des millions de partages et de like. Sur Twitter, Brianna Noble est qualifiée de "véritable reine", "inspirante et belle", dont les actions tiennent "du jamais vu". Et comme l'énonce le New York Times, des centaines de "cowboys et cowgirls" noir·e·s des quatre coins de l'Amérique se sont fièrement affiché·e·s suite à cette performance, de la Californie au Texas. Un "happening" qui galvanise, mais pas seulement.
Car aujourd'hui, fort de ce retentissement, cette héroïne recueille des fonds pour pouvoir offrir des cours d'équitation gratuits aux enfants défavorisés, dans le cadre de son projet "Humble". En tant que jeune femme noire, elle n'a que trop connu les travers du milieu de l'équitation, de ses cours et de ses compétitions, qu'elle dit en majorité dominé par des hommes blancs et fortunés. Un privilège qu'elle compte bien renverser. "Les opportunités pour les personnes qui me ressemblent sont très limitées. Ce milieu peut être très hostile", raconte-t-elle encore à The Lily.
Sa carrière professionnelle n'a donc pas été de tout repos. Ni sa relation avec le fameux Dapper Dan d'ailleurs. Il lui a fallu des mois et des mois pour parvenir à trouver le juste équilibre avec son compagnon, un cheval "à problème, terrible et impossible à entraîner", qui lui a causé bien des larmes de désespoir. Puis l'entente s'est finalement faite avec cet imposant destrier que Brianna Noble considère comme "quelqu'un de très spécial". Une personnalité qui a suscité l'admiration des anonymes. Auteur d'une peinture murale à l'effigie de la militante, l'artiste Pancho Pescador ne s'est toujours pas remis "de la présence, de la bravoure et de la beauté" de cette traversée urbaine exceptionnelle.
Exceptionnelle car comme l'énonce encore la cavalière à ABC News, "ce n'est pas quelque chose que vous voyez tous les jours". Difficile de le nier. Et pourtant, comme le précise la maîtresse de conférence en histoire et civilisation des Etats-Unis Claire Bourhis-Mariotti à Franceinfo, ces images invoquent tout un imaginaire populaire : celui du cowboy noir. Si au temps de la conquête de l'Ouest un cowboy sur quatre était noir, c'est pourtant "les mâles blancs dominants" (et racistes) qui sont restés dans l'Histoire. Pour la spécialiste, le retour du "black cowboy" permet donc aux Noirs "de montrer qu'ils sont les propres maîtres de leur destin". Et ce n'est pas Brianna Noble qui la contredira.