"C'est ça, la réalité du ballet...", déplore la ballerine afroaméricaine Misty Copeland sur Instagram. Sous cette description, quelques photos qui dérangent, et que l'artiste a partagé auprès d'une communauté épouvantée : des danseuses affichant une "blackface". C'est à dire, des jeunes femmes blanches dansant, tout sourire, leurs visages noircis. Une tradition raciste que le monde du ballet n'exclue (toujours) pas en 2019...
C'est ce que démontre la compagnie du Théâtre Bolchoï. Ces images sont effectivement celles de la troupe russe, lors l'une des représentations du ballet classique La Bayadère. Précisons que l'action de ce célèbre ballet en trois actes se déroule en Inde. Et les réécritures et nouvelles mises en scène qu'il a suscité depuis sa création se sont toujours heurtées à une problématique bien houleuse : les représentations de l'Inde ancienne que propose l'oeuvre originelle, décrites par le magazine The Cut comme des caricatures "xénophobes et orientalistes"...
Rien d'étonnant : il faut dire que La Bayadère ne date pas d'hier. Sa première représentation nous renvoie en 1877. Et l'oeuvre a déjà fait l'objet d'une révision... en 1941. Le besoin de "l'actualiser" n'a donc rien de nouveau. Et la réaction de la ballerine Misty Copeland, par ailleurs première Afro-Américaine de l'histoire de l'American Ballet Theatre de New York, semble donc tout à fait légitime. Pour celle-ci, il est primordial d'insister : oui, le blackface, quel que soit le contexte, est une pratique problématique et dépassée, qui met mal à l'aise. Et tant que les consciences ne seront pas éveillées, "le changement ne pourra pas se produire", épingle la danseuse sur Twitter.
"C'est un sujet TRÈS sensible dans le monde du ballet", poursuit la ballerine, qui désire "alerter les médias" quant à cette réalité qui dérange - mais semble, contre toute attente, parfaitement normalisée. La preuve ? Malgré les dizaines de milliers de "like" et autres commentaires indignés qu'a engendré la publication de l'artiste sur Instagram, suscitant un véritable bad buzz, le Théâtre du Bolchoï n'en démord pas. Interrogé par les médias nationaux, le directeur du théâtre Vladimir Urin explique que rien ne sera changé.
Pourquoi ? Car ce ballet "a été joué des milliers de fois, en Russie et à l'étranger", commente Vladimir Urin. Et qu'importe si, depuis 1877, il est possible que notre monde ait un petit peu changé... Le directeur n'en a cure et précise même que cette polémique "est tout simplement ridicule". A l'écouter, le "blackface" n'a rien "d"irrespectueux". Entre Vladimir Urin et Misty Copeland, le dialogue de sourds s'installe.
Mais la danseuse afro-américaine, plutôt que de débattre du contenu de la pièce, préfère mettre l'accent sur la réalité alarmante que masque - sans trop y parvenir - ces représentations théâtrales, comme l'indique CNN : le fait, "douloureux", que, "de nombreuses grandes compagnies de ballet refusent d'embaucher des danseurs et des danseuses de couleur plutôt que d'employer le blackface". Une façon cinglante de rappeler que les discriminations perdurent au sein de la scène artistique. Autant dire qu'il y a encore beaucoup de mentalités à bousculer.