Le rêve américain existe encore. C'est en tout cas ce qu'on se dit en observant le parcours de Misty Copeland, 32 ans, qui vient tout juste de devenir la première danseuse étoile noire de l'American Ballet Theatre (ABT) de New York. 1m57, une carrure qui en impose, des débuts dans la danse sur le tard, cette ballerine au visage d'ange bouscule les codes du classique. Dans un univers assez formaté dominé par des jeunes femmes longilignes et blanches de peau, elle se place en outsider, et surtout en véritable modèle pour des millions de petites filles afro-américaines. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien si elle est apparue l'année dernière dans la liste des 100 personnalités les plus influentes du Time, ou si son autobiographie Life in Motion, An Unlikely Ballerina est devenue un best-seller aux Etats-Unis. Le parcours de Misty Copeland inspire le respect, surtout qu'il a particulièrement été chaotique.
Entrée à l'American Ballet Theatre à l'âge de 17 ans, Misty Copeland ne se destinait pourtant pas à une carrière de ballerine professionnelle. Née dans le Missouri, cadette d'une famille de quatre enfants, elle n'a que 2 ans lorsque sa mère quitte son père. Elle atterrit alors à Los Angeles, voit défiler trois beaux-pères, tandis que sa mère met au monde deux autres enfants. Fan de la gymnaste Nadia Comaneci, la jeune fille n'éprouve pas d'attirance pour la danse. C'est en devenant capitaine de l'équipe de pom-pom girls de son collège à 13 ans qu'elle est repérée par son entraîneur. Présentée à Cindy Bradley, cofondatrice du ballet de San Pedro, Misty se retrouve rapidement sur les pointes. Parce que le studio de danse est loin de chez elle, l'adolescente emménage chez son professeur. Mais si cette cohabitation lui réussit, au bout de deux ans, sa mère souhaite la récupérer. Entre Cindy Bradley et la mère de Misty le torchon brûle, l'affaire est portée devant les tribunaux et la jeune fille perd le goût de la danse...
Finalement, à l'âge de 16 ans, la ballerine intègre le programme d'été de l'American Ballet Theatre. Au terme du stage, on lui propose de rejoindre la troupe à temps plein, mais la mère de Misty préfère qu'elle finisse d'abord le lycée. C'est suite au programme d'été de l'année suivante (soit en 2000), qu'elle rejoint définitivement la prestigieuse compagnie américaine. Mais à 18 ans, elle se fracture une des vertèbres lombaires, porte un corset 24/24 et doit donc arrêter la danse pendant un an. Au même moment, un médecin apprend qu'elle n'a encore jamais eu ses menstruations et lui prescrit la pilule. Elle qui avait toujours affiché un physique fin et gracile voit apparaître hanches et poitrine sous son justaucorps. Mais ni ses nouvelles courbes, ni sa fracture ne découragent la jeune femme. Au New Yorker, elle confiait l'année dernière : "Il m'a fallu cinq ans pour comprendre comment marchait mon corps et comment affiner mes muscles".
En 2007, elle gagne ses galons de soliste et apparaît alors dans des ballets célèbres comme Firebird, Don Quichotte, Romeo & Juliette, et Casse-Noisette. La semaine dernière, Misty Copeland a fait ses débuts dans le rôle d'Odette/Odile dans le Lac des Cygnes. Un événement. Jusqu'ici, ce rôle avait toujours été attribué à des danseuses blanches de l'ABT.
Misty Copeland est bien consciente qu'elle a le pouvoir de briser les stéréotypes. Dans son autobiographie, elle écrit ainsi : "Ma peur, c'est qu'il se pourrait se passer encore 20 ans avant qu'une autre femme noire soit dans la position où je suis, dans une célèbre compagnie de danse". Alors la ballerine prend sa mission à coeur. Elle a lancé le "Project Plié" qui dispense des cours de danse classique dans des quartiers défavorisés, et elle a même écrit un livre pour enfants intitulé "Firebird" (du nom du ballet dans lequel elle a tenu un rôle central). Dans le livre, elle apparaît au côté d'une petite danseuse afro-américaine et l'encourage à croire en elle.
Misty Copeland a été critiquée pour son corps trop athlétique, des compagnies lui ont fermé la porte au nez, et elle a même connu le racisme au sein de sa profession. Mais preuve qu'elle est un symbole du rêve américain, elle n'a jamais baissé les bras. Une persévérance qui lui a permis d'outrepasser son statut de ballerine pour devenir une véritable star (on l'a vue dans plusieurs publicités et même au côté du chanteur Prince). L'année dernière, elle assurait au Time vouloir "incarner un rêve possible pour les enfants", et concluait : "C'est important pour moi d'être un exemple".