Société
Victoria Bateman, l'économiste féministe qui se met à nu pour tacler le Brexit
Publié le 31 janvier 2020 à 18:34
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
De ses discours incisifs à ses happenings détonants, l'économiste britannique Victoria Bateman ne cesse de tirer la sonnette d'alarme quant aux conséquences potentielles du Brexit.
Victoria Bateman s'exprime sur Vimeo : "Le Brexit laisse l'Angleterre toute nue" Victoria Bateman s'exprime sur Vimeo : "Le Brexit laisse l'Angleterre toute nue"© Capture d'écran Vimeo - Victoria Bateman
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Victoria Bateman a une manière bien à elle d'alerter l'opinion publique sur les dangers du Brexit (qui prendra effet ce vendredi 31 janvier à 23 heures). Une méthode forte, qui n'entache en rien l'érudition méticuleuse de son discours. Pour dire haut et fort cette vérité nue, cette brillante économiste britannique a décidé de retirer le haut. Puis le bas. Un bon moyen de capter l'attention, de faire le buzz comme diraient d'autres. Mais surtout de le clamer, avec un brin d'humour, car il vaut mieux en rire qu'en pleurer au fond : le Brexit va laisser le Royaume-Uni à poil.

C'est d'ailleurs le titre de l'une de ses vidéos abondamment relayées, mises en ligne sur son compte Vimeo - YouTube n'appréciant guère la nudité, et encore moins lorsqu'elle est politisée. De ces discours face caméra à ses conférences qui font salle comble, Victoria Bateman fait de son impudeur une forme réjouissante d'indignation. Une performance éclatante à l'ère de la viralité des images. Et ça marche ! Ses happening sont largement médiatisés. Et assurent à cette intellectuelle une reconnaissance internationale bien méritée. Mais qui êtes-vous au juste, Victoria Bateman ?

L'Angleterre à poil

A 40 ans seulement, Victoria Bateman pourrait réconcilier les voix les plus discordantes. Cette grande érudite de l'histoire économique du Royaume-Uni balade avec elle un prestigieux CV, de ses diplômes obtenus à Cambridge et Oxford à ses longues années d'enseignement - dix ans assurés à l'université de Cambridge. Mais ce sont ces initiatives aussi choc que féministes (la professeure est une militante assumée) qui feront sa renommée mondiale.

En 2014, Bateman fait placarder aux murs d'une expo de la prestigieuse Federation of British Artists un portrait de sa propre personne, immortalisée dans son plus simple appareil, composé par le peintre Anthony Connolly. Deux ans plus tard, elle tient une conférence, entièrement nue, à Cambridge. Sur son corps libéré est inscrit ce qui deviendra son plus emblématique slogan : "Brexit leaves Britain naked". Traduction ? Le Brexit laisse la Grande-Bretagne toute nue.

Le message est passé. Mais la conférencière ne cessera de le réitérer. Au gré de ses vidéos Twitter où elle distille ses arguments anti-Brexit, face aux audiences venues l'écouter (celle de la Cambridge Junction en janvier 2019) ou, plus en mode "happening" irrévérencieux, comme lors d'une conférence organisée à l'Office national des statistiques (en 2016) ou d'un dîner organisé au Gonville and Caius College en juin 2018 - l'un des trente-et-un collèges de l'Université de Cambridge. Ce soir-là, Victoria Bateman a inscrit autre chose sur sa peau que le fameux "Brexit leaves Britain Naked" : My Body, My Choice (Mon corps, mon choix).

Partout, cette brillante universitaire combat la censure et l'oppression, qu'elle soit sociale, économique, politique. Mais pour elle, le Brexit va à l'encontre de sa lutte. "Jusqu'au 20e siècle, l'histoire nous a montré que l'isolationnisme allait de pair avec une restriction des droits individuels", raconte-t-elle ainsi en défendant les valeurs de l'Union Européenne.

Rebelote ce 30 janvier 2020, où à l'occasion du Brexit Day, l'activiste et vidéaste a partagé une nouvelle vidéo. Sur ses épaules et malgré les températures hivernales, on ne trouve rien d'autre qu'une modeste écharpe bleue. Mais son discours, lui, n'a rien de léger.

"Tous les citoyens britanniques sont désormais privés du droit de vivre, étudier et travailler en Europe", déplore-t-elle à l'adresse de ses dizaines de milliers de followers. Avant de poursuivre : "Aux millions d'Européens qui ont accueilli la Grande-Bretagne ces dernières décennies, je présente mes excuses. Je suis profondément désolée". Des mots puissants. A l'écouter, le Brexit va "dépouiller" la population britannique de libertés fondamentales. Et cela ne laisse rien présager de bon pour l'avenir de ce pays qui "a choisi de sombrer dans l'inconnu glacé", dit-elle encore. Comme un air de "Winter is coming"...

En 2019, celle qui a débattu en tenue d'Eve sur le plateau de la BBC (dans l'émission radiophonique "Today", où elle interpelle avec malice les politiciens pro-Brexit) a sorti un nouveau livre intitulé The Sex Factor. L'angle ? Interroger la place des femmes dans l'Histoire de l'économie occidentale, et mettre en lumière toutes les inégalités qu'une telle étude révèle. Une rétrospective forcément critique à laquelle tient cette native de Manchester, issue des classes populaires. Enfant (délaissée) des années Thatcher, Victoria Bateman n'a que trop connu le climat de misère sociale de l'époque, et l'indignation qu'elle provoque naturellement.

Quand elle ne parle pas du Brexit (comme ici, un coussin plaqué sur la poitrine), l'oratrice défend le droit des femmes à disposer librement de leur corps. Que le débat porte sur l'avortement ou la prostitution, ses convictions ne s'effilochent jamais. Portraitisée par le journal Libération, elle défend bec et ongles sa vision de l'émancipation féminine. "Un corps de femme n'a pas à évoquer seulement le sexe ou la maternité", dit-elle ainsi au sujet de ses happenings dénudés. L'autrice et historienne Ruth Scurr l'admire. Et dit d'elle qu'elle est "une farouche féministe qui a décidé d'utiliser la nudité pour attirer l'attention sur ses arguments économiques et sociaux".

 

Et ce n'est pas la principale concernée qui risque de la contredire, loin de là. Il y a six ans de cela, l'économiste détaillait déjà ses intentions dans les pages du Guardian. A savoir, ce besoin conscient de se réapproprier l'image "forcément controversée" du corps féminin, lequel peut provoquer bien des réactions ("L'embarras, la honte et même la culpabilité") et de s'en servir pour propager ses propres discours. Une manière de prendre à bras le corps ses idées, de les incarner. Tout en démontrant que les femmes ne sont pas "des objets sexuels" qui auraient pour unique but de "susciter le désir" masculin.

En commandant un portrait à l'artiste Anthony Connolly, elle souhaitait ainsi rappeler que "derrière chaque nu se trouve un être humain pensant et respirant". Et c'est cela qu'elle ne cesse de clamer depuis, en s'exprimant sur la sortie - qu'elle dit désastreuse et rétrograde - de l'Union Européenne.

Cela fait quatre ans déjà que Victoria Bateman alerte médias et citoyens en défrayant la chronique. Insaisissable, elle défend aussi bien le respect du peuple que celui des travailleuses du sexe - tous deux lui inspirent un discours incisif sur la précarité financière. Interrogée par le site d'informations de l'Université de Cambridge, elle affirme une nouvelle fois que le Brexit "est mauvais pour la Grande-Bretagne, notre économie, mauvais pour notre société".

A l'instar du nu, les bienfaits de cette sortie de l'UE ne sont, selon elle, qu'une apparence, assénés à grands coups de campagnes sensationnalistes "et dépourvues d'humanité". Certains défendent ses vertus aussi rapidement "[qu'ils jugent] les femmes, en fonction de ce qu'elles montrent ou non de leur corps", poursuit-elle.

Une réflexion passionnante. Et que l'universitaire n'est pas prête de délaisser. Ses principes, elle les porte sur elle, tout comme les slogans puissamment politiques qu'elle s'inscrit sur l'épiderme. Et personne ne l'obligera à les recouvrir. Surtout pas Boris Johnson. Ni Donald Trump. A Cambridge News, elle tease d'ailleurs en quelques mots ce qui pourrait être sa prochaine performance. A l'évocation d'une potentielle conférence - en tenue d'Eve bien sûr - face au président des Etats-Unis, Victoria Bateman répond, d'un sourire : "Je le ferais absolument, je le ferais absolument et il serait intéressant de voir s'il pourrait faire face à une femme qui est bien dans sa peau".

Et nous, on aimerait beaucoup, beaucoup voir ça.

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Société News essentielles Politique international economie angleterre feminisme
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