Cécile, victime d’amnésie traumatique : elle se souvient de son viol 32 ans plus tard
Publié le 18 décembre 2013 à 12:35
Par Marine Deffrennes
Cécile a souffert d'une amnésie traumatique pendant plus de 30 ans, ce qui lui a évité de se souvenir du viol subi à l'âge de 5 ans. C'est lors d'une séance d'hypnose que le cauchemar a refait surface. Mais son violeur ne peut pas être jugé car il y a prescription. La cour de Cassation vient de refuser de repousser ce délai.
Cécile, victime d’amnésie traumatique : elle se souvient de son viol 32 ans plus tard Cécile, victime d’amnésie traumatique : elle se souvient de son viol 32 ans plus tard© iStock
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Comment peut-on oublier totalement la scène la plus terrible d’une vie ? Si l’on est un enfant, c’est possible. Une sorte de réflexe de protection inconscient et reconnu par la psychiatrie, appelé « amnésie traumatique », a laissé Cécile dans l’ignorance pendant 32 ans. Depuis qu’une séance d’hypnose lui a fait revivre l’horreur, elle cherche à obtenir une réponse de la justice. Mais pour les affaires de viol, le délai de prescription est de 20 ans à partir de la majorité de la victime. A trois ans près, Cécile ne verra pas son violeur sur le banc des accusés. 

« C'est comme si j'avais une caméra »

Pourtant ses souvenirs sont on ne peut plus nets : « J’ai revu une scène d’une violence inouïe, et un homme auquel je n’avais pas pensé depuis 32 ans. C’est comme si j’avais une caméra, je voyais les détails vestimentaires, physiques, géographiques, comme si je revivais la réalité de la scène », racontait-elle au micro de France info le 6 novembre dernier. « Une amnésie traumatique est quelque chose de classique car le cerveau d’un enfant ne peut pas digérer la violence d’un tel abus », ajoute-t-elle. La Cour de cassation devait décider aujourd’hui si oui ou non, le coupable présumé du viol de Cécile pourrait être jugé 30 ans après les faits : la réponse, négative a été donnée en début d'après-midi. le délai de prescription ne sera pas repoussé. 

La prescription des crimes sexuels en question

Le débat sur la prescription des crimes sexuels, notamment commis sur des enfants, refait régulièrement surface. En 2012, une femme de 56 ans affirmait de même avoir été violée 37 ans plus tôt. Ses souvenirs étaient revenus après une intervention chirurgicale : « J’ai commencé à avoir des flashs et à voir un visage qui s’est petit à petit bien confirmé ». Zaïa a ainsi reconstitué le souvenir d’une scène lors de laquelle elle a été violée et frappée à la tête par un homme qui voulait l’épouser. Elle a décidé de porter plainte contre son agresseur, malgré la prescription. D’après son avocat, le délai de prescription doit être levé, puisque l’amnésie de sa cliente a empêché son dépôt de plainte.

Sur la voie de l'imprescriptibilité des crimes sexuels
Certains pays comme les États-Unis et la Grande Bretagne ont aboli le délai de prescription pour les crimes sur mineurs. En France, les seuls crimes imprescriptibles sont le génocide et les crimes contre l’humanité. Les avocats de Cécile comptaient pourtant s'appuyer sur la jurisprudence, qui, pour certaines infractions, fait commencer le délai de prescription au moment de la découverte des faits et non au moment de leur commission.

L'association Stop aux violences sexuelles travaille sur le sujet depuis longtemps et cherche à aller plus loin qu'un report des délais existants : « L'imprescriptibilité des crimes sexuels est une nécessité », déclare Violaine Guérin, Présidente de l'association. « Refuser à quelqu'un d'obtenir réparation montre une méconnaissance totale de l'impact des violences sexuelles sur les victimes. On allègue des motifs juridiques purs, sans comprendre la réalité des dégâts. »

Le travail des associations et de quelques politiques, comme la sénatrice du Rhône Muguette Dini, en faveur de l'imprescriptibilité des crimes sexuels commencerait cependant à porter ses fruits, selon Violaine Guérin. En septembre dernier, lors du vote la loi sur l'égalité hommes-femmes, Mme Dini a présenté au Sénat un amendement dans ce sens, qui a manqué de peu d'être voté. « De plus en plus de législateurs sont convaincus, car on parle davantage du sujet depuis quelques années, et nous allons continuer », promet-elle.

« Quand la victime se tait, le corps parle »
Car au-delà du cataclysme psychologique causé par un viol ou une agression sexuelle, Violaine Guérin, gynécologue et endocrinologue, met en avant les conséquences moins évidentes de ces crimes : « Il est extrêmement fréquent que des victimes oublient une agression sexuelle. Le corps s'exprime souvent à cause d'un traumatisme non exprimé. Pour avoir beaucoup travaillé sur la somatisation, je sais aujourd'hui que quand la victime se tait, le corps parle, la personne se rend malade, et cela peut aller jusqu'à des cas de tumeurs et de cancers.» La somatisation des agressions sexuelles. Un sujet peu connu qui sera débattu lors des premières Assises nationales sur les violences sexuelles le 13 janvier 2014 organisées au Sénat.

Pour Cécile, la reconstruction ne pourra donc se faire que par la voie thérapeutique. « Sans réponse de la justice, elle pourra tout de même tenter de retrouver son agresseur, de le rencontrer ou de lui écrire une lettre », pour cela elle sera accompagnée à chaque étape par les équipes médicales.

Mots clés
Société justice
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