Comment peut-on oublier totalement la scène la plus terrible d’une vie ? Si l’on est un enfant, c’est possible. Une sorte de réflexe de protection inconscient et reconnu par la psychiatrie, appelé « amnésie traumatique », a laissé Cécile dans l’ignorance pendant 32 ans. Depuis qu’une séance d’hypnose lui a fait revivre l’horreur, elle cherche à obtenir une réponse de la justice. Mais pour les affaires de viol, le délai de prescription est de 20 ans à partir de la majorité de la victime. A trois ans près, Cécile ne verra pas son violeur sur le banc des accusés.
Pourtant ses souvenirs sont on ne peut plus nets : « J’ai revu une scène d’une violence inouïe, et un homme auquel je n’avais pas pensé depuis 32 ans. C’est comme si j’avais une caméra, je voyais les détails vestimentaires, physiques, géographiques, comme si je revivais la réalité de la scène », racontait-elle au micro de France info le 6 novembre dernier. « Une amnésie traumatique est quelque chose de classique car le cerveau d’un enfant ne peut pas digérer la violence d’un tel abus », ajoute-t-elle. La Cour de cassation devait décider aujourd’hui si oui ou non, le coupable présumé du viol de Cécile pourrait être jugé 30 ans après les faits : la réponse, négative a été donnée en début d'après-midi. le délai de prescription ne sera pas repoussé.
Le débat sur la prescription des crimes sexuels, notamment commis sur des enfants, refait régulièrement surface. En 2012, une femme de 56 ans affirmait de même avoir été violée 37 ans plus tôt. Ses souvenirs étaient revenus après une intervention chirurgicale : « J’ai commencé à avoir des flashs et à voir un visage qui s’est petit à petit bien confirmé ». Zaïa a ainsi reconstitué le souvenir d’une scène lors de laquelle elle a été violée et frappée à la tête par un homme qui voulait l’épouser. Elle a décidé de porter plainte contre son agresseur, malgré la prescription. D’après son avocat, le délai de prescription doit être levé, puisque l’amnésie de sa cliente a empêché son dépôt de plainte.
L'association Stop aux violences sexuelles travaille sur le sujet depuis longtemps et cherche à aller plus loin qu'un report des délais existants : « L'imprescriptibilité des crimes sexuels est une nécessité », déclare Violaine Guérin, Présidente de l'association. « Refuser à quelqu'un d'obtenir réparation montre une méconnaissance totale de l'impact des violences sexuelles sur les victimes. On allègue des motifs juridiques purs, sans comprendre la réalité des dégâts. »
Le travail des associations et de quelques politiques, comme la sénatrice du Rhône Muguette Dini, en faveur de l'imprescriptibilité des crimes sexuels commencerait cependant à porter ses fruits, selon Violaine Guérin. En septembre dernier, lors du vote la loi sur l'égalité hommes-femmes, Mme Dini a présenté au Sénat un amendement dans ce sens, qui a manqué de peu d'être voté. « De plus en plus de législateurs sont convaincus, car on parle davantage du sujet depuis quelques années, et nous allons continuer », promet-elle.
Pour Cécile, la reconstruction ne pourra donc se faire que par la voie thérapeutique. « Sans réponse de la justice, elle pourra tout de même tenter de retrouver son agresseur, de le rencontrer ou de lui écrire une lettre », pour cela elle sera accompagnée à chaque étape par les équipes médicales.