En découvrant l’histoire de Tatiana Alvarez, il est très facile de comprendre pourquoi Hollywood s’intéresse à son cas. Cette Californienne qui refuse de donner son âge a un parcours plutôt atypique. DJ de profession, elle a longtemps galéré à trouver des soirées où se produire. En cause ? Son sexe. Face au sexisme qui règne dans le milieu de l’électro (en démontre cette récente infographie), les artistes féminines ont bien de mal à se faire entendre. Mais face à cette injustice, Tatiana ne s’est pas laissé abattre et a eu une idée littéralement couillu : se travestir en homme. Telle Dustin Hoffman dans le film Tootsie, elle a donc totalement changé d’apparence, comme elle l’explique au Telegraph : « Je me suis dit : je dois devenir un mec, je dois être à l’opposé de tout ce qui est sexy. Alors j’ai acheté des vêtements d’homme, j’ai coupé mes ongles, et caché mes cheveux sous une perruque. J’ai utilisé une brassière de sport trop petite pour plaquer ma poitrine ».
Son double alter ego – Matt Muset à la ville, Musikillz sur scène – était né. Bien évidemment, il a rapidement commencé à se produire un peu partout et a rencontré le succès. Cette aventure dans la peau d’un autre aura duré un an. Estimant qu’elle avait prouvé aux autres où elle voulait en venir et surtout fatiguée que personne ne se rende compte que c’était elle derrière les platines, Tatiana Alvarez a préféré remiser sa perruque. Grâce à cette histoire, la DJ s’est imposée dans le monde de la musique électronique. Mieux, Warner Bros va produire un film sur sa vie. Si l’histoire en forme de happy ending de Tatiana Alvarez peut faire sourire, elle est aussi choquante. Faut-il vraiment en arriver jusque-là pour s’imposer dans la société tant que femme ? Malheureusement, son histoire n’est pas anodine…
Tatiana Alvarez derrière les platines, crédit Instagram
On raconte qu’au 18e siècle, la pirate irlandaise Anne Bonny aurait choisi de se travestir en homme pour être respectée par l’équipage du bateau sur lequel elle naviguait. Découverte par un autre pirate, la jeune femme n’aurait pas eu d’autre choix que de l’abattre froidement pour garder son secret. Si cela n’a jamais pu être prouvé, cette histoire indique pourtant que l’émancipation par le travestissement remonte à loin. Un siècle après Anne Bonny, c’est ainsi une autre Britannique qui eut l’idée de devenir un gentleman pour le bien de sa carrière professionnelle. Née Margaret Ann Bulkley et élevée comme telle, c’est pourtant sous le nom de James Barry que cette chirurgienne est devenue célèbre. Médecin militaire, c’est notamment à elle que l’on doit la première césarienne réalisée avec succès en Afrique.
Margaret Ann Bulkley traita un nombre de patients considérable durant la guerre de Crimée et devint même inspecteur général chargé des hôpitaux militaires à la fin de sa carrière. La dysenterie l’emporta en 1865 et ce n’est qu’à ce moment-là que l’on découvrit son secret. Très énervés d’avoir été roulés dans la farine toutes ces années, les dirigeants de l’époque commirent l'irréparable et jetèrent son dossier médical aux oubliettes. Il aura fallu attendre 2008 pour que le cas de la chirurgienne soit révélé au grand jour. Sur Wikipédia, elle répond néanmoins toujours au nom de James Barry…
Margaret Ann Bulkley/James Barry, source Wikipédia
>> Les hommes et la mixité : des progrès mais ce n'est pas encore gagné <<
Médecin n’est pas la seule profession au sein de laquelle les femmes ont dû se battre bec et ongle pour se faire une place. Durant la Première Guerre mondiale, la journaliste anglaise Dorothy Lawrence fut ainsi obligée de se transformer en homme pour être envoyée au front. Aucun journal ne voulant de ses articles parce qu’elle était de sexe féminin, elle se rasa la tête, enfila un corset et rejoignit les rangs des soldats basés au front. Sous le nom de Denis Smith, elle servit son pays durant dix jours avant de se dénoncer, apeurée à l’idée que ses nouveaux amis soldats ne soient accusés de l’avoir aidée. Arrêtée et renvoyée en Angleterre, elle fut réduite au silence et ne put jamais écrire d’article sur la guerre.
Si Dorothy Lawrence échoua à s'imposer en se travestissant, c’est grâce à cet artifice qu’une autre femme trouva sa voix et devint par la même occasion un exemple pour beaucoup de jeunes sportives. Dans les années 50, alors que seuls les hommes étaient autorisés à pratiquer le judo aux Etats-Unis, Rena Kanokogi (née Glickman) décida de s’inscrire à une compétition déguisée en homme. Elle se coupa les cheveux, dissimula sa poitrine à l’aide de bandes… et rétama son adversaire. Malheureusement, on déjoua vite son petit tour et Rena fut mise à la porte de la compétition. Pas démontée, elle s’envola pour le Japon (où les femmes étaient autorisées à faire du judo), devint la première femme à s’entraîner avec des hommes et épousa une ceinture noire des arts martiaux. En 1976, elle entraîna l’équipe américaine féminine de judo et quatre ans plus tard, elle organisa le premier tournoi mondial de judo féminin au Madison Square Garden à New York. Peu avant sa mort (2009), Rena Kanokogi reçut une médaille d’or pour tout ce qu’elle avait accompli dans le domaine du sport.
Dorothy Lawrence, source Wikipédia
Rena Kanokogi en 2009, crédit Bebeto Matthews/AP/SIPA
On l’a vu, le travestissement traverse les époques et les cultures. Il est donc logique que la pop culture s’en soit inspirée. Mais si Tony Curtis et Jack Lemmon enfilent jupettes et talons pour faire rire le spectateur dans Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, une femme déguisée en homme appelle tout de suite au plus grand sérieux. Car même au cinéma, quand une demoiselle choisit de porter une moustache, c’est qu’elle tente forcément de s’affranchir d’une société patriarcale, de trouver sa place dans la société. On peut ainsi citer le personnage de Julie Andrews dans la comédie Victor Victoria (1982) de Blake Edwards. Chanteuse classique sans le sou, c’est en devenant Victor que Victoria rencontre le succès dans les cabarets et devient une star de la scène. Il y a aussi Katharine Hepburn, qui dès 1935 se travestit dans Sylvia Scarlett de George Cukor pour aider son père dans ses escroqueries et échapper à la justice. Enfin, plus proche de nous, on trouve aussi Glenn Close. Dans Albert Nobbs de Rodrigo Garcia sorti en 2011, elle interprétait une femme obligée de se déguiser en homme pour trouver du travail dans le Dublin du 19e siècle. Pour vivre heureuses, vivons cachées...
Tony Curtis et Jack Lemmon dans "Certains l'aiment chaud", crédit MGM
Glenn Close dans "Albert Nobbs", crédit Chrysalis Films