Buscalan a beau être un petit village isolé dans les montagnes au Nord des Philippines, les touristes s'y pressent en masse. La raison ? Elle s'appelle Apo Whang-Od (appelée aussi Fang-Od), elle est âgée de 100 ans (environ), et elle est considérée comme la dernière mambabatok, soit la dernière maître-tatoueuse des Philippines qui orne la peau de ses clients selon la tradition de sa tribu, les Kalinga. Réalisés à l'aide d'épines d'oranger et de suie, ces symboles géométriques étaient auparavant réservés aux guerriers et aux femmes de la tribu qui s'en recouvraient le corps pour séduire les hommes. Mais comme le révèle le New York Times, l'arrivée des Espagnols en 1521 a tout changé. Le colonialisme et le catholicisme ont découragé les tatoueurs, poussant la tradition à disparaître. Les Kalinga, eux, ont résisté, gardant férocement leurs villages contre les étrangers. C'est finalement autour du 20e siècle qu'ils ont eux aussi commencé à abandonner leur pratique.
C'est ainsi que le temps passant, les Kalinga ont arrêté de s'intéresser à cet art. Les temps ont changé, l'électricité est arrivée au petit village de Buscalan, et les jeunes ont trouvé d'autres centres d'intérêts. France Inter explique que la dernière native à s'être fait tatouer, en 2005, s'appelle Natividad Sugguiyao. Heureusement, les touristes ont pris le relais. Apparue dans l'émission Tattoo Hunter en 2009, diffusée sur Discovery Channel, Apo Whang-Od a éveillé la curiosité des accros du tatouage. Aujourd'hui, elle grave la peau d'une vingtaine de personnes par jour et reçoit des clients venus des quatre coins du globe. Si la tatoueuse se dit toujours aussi surprise de ce regain d'intérêt, le documentaire lui a permis de faire parler de son art, et donc, de trouver des jeunes gens capables d'assurer la relève.
Comme l'indique le New York Times, un tatoueur australien a voyagé jusqu'à Buscalan pour documenter la technique du batok. Mais c'est bien aux Philippins que l'artiste centenaire espère transmettre son savoir-faire. Il y a une dizaine d'années, elle a ainsi pris sous son aile sa petite-nièce, Grace Palica, espérant en faire sa digne héritière. A seulement 10 ans, la fillette a reçu un enseignement assez intensif. Plus récemment, Apo Whang-Od a également délivré son savoir à Den-den Wigan, un jeune homme du village voisin, dont l'ancêtre avait gravé la peau de la tatoueuse. Aujourd'hui, ce Philippin de 22 ans tatoue les clients d'une galerie d'art de Manille. "Je veux continuer la tradition que mon grand-père m'a laissé. Je ne veux pas qu'elle disparaisse de notre culture", a-t-il confié.
Si la relève semble donc assurée, encore faut-il être assez résistant à la douleur pour se laisser tenter par la technique du batok qui consiste à faire entrer l'encre sous la peau en tapotant l'épine d'oranger à une vitesse plutôt incroyable (100 coups par minute environ).