On connaît les amours de jeunesse, le grand amour, les amours passagères, mais qu'en est-il des amours imaginaires ? Ces histoires qui ne durent pas longtemps, peut-être quelques semaines, où l'on croit vivre quelque chose de fort qui nous fait dire que l'on va enfin toucher au Graal sentimental, et qui partent en fumée à peine commencées. Des histoires tuées dans l'oeuf. Zéro pitié pour les sentiments que l'on a cru voir naître de notre côté et, aussi, chez l'autre.
Car dans amour imaginaire, il y a amour, certes, mais surtout imaginaire. Ce ne sont pas nos sentiments que le terme vise, eux sont souvent réels même pour de mauvaises raisons, mais plutôt ceux de l'autre. Celui qui nous a tant plu, avec son apparence, la façon dont il nous parlait, ce qu'il fait dans la vie. Lui, on a l'impression de le connaître par coeur. On s'est même persuadée que notre histoire était évidente.
On se voit encore exposer, un peu trop emballée, des similitudes plus ou moins significatives entre nos deux personnalités : "On a tellement de points communs, et puis en plus, il adore porter du vert, comme moi ! Ça ne fait pas très longtemps que ça dure mais..." Mais voilà. C'est là que ça coince. C'est dans cette situation précise que l'imaginaire l'emporte sur l'amour. Ça ne fait pas très longtemps et on voit des signes partout (vraiment partout). Si cela peut ressembler à une histoire d'amour classique - c'est vrai qu'il y a toujours un moment dans n'importe quelle relation durable où on se connaît depuis peu -, c'est le fait de faire des plans sur la comète à partir d'infos qui n'en disent pas long du tout, qui peut s'avérer plus dangereux.
Louise, 26 ans, raconte qu'elle excelle dans la discipline : "En termes de courage, je ne suis pas la championne, aucun amour imaginaire n'a donc été déclaré. En revanche, l'imagination est parfaite pour se raconter tout ce qu'on ferait : on irait là, il serait comme ça, les gens penseraient ça de notre couple". On se fait tous les films du monde et on se les repasse autant que possible, en cherchant des signes partout, jusqu'à interpréter la façon dont il insistera sur un mot plus que l'autre. Pour Louise, il s'agit souvent d'individus qu'elle connaît d'avant, et qui un jour se "révèlent" : "Un regard que je crois percevoir, des mots plus gentils que d'habitude, un geste. A partir de là, il est facile d'interpréter toute attitude comme un signe de réciprocité".
On l'interprète, mais on va aussi plus loin. L'amour imaginaire n'excluant pas les rapprochements physiques, ce qui participe au château de cartes que l'on se monte dans la tête et qui finit par s'écrouler par manque de fondations solides. Jeanne, 28 ans, a poussé l'expérience au-delà du fantasme :"Je suis arrivée dans une ville que je ne connaissais pas et où je ne connaissais personne. Je l'ai rencontré lui. Un ami d'ami. A une soirée, on s'est parlé, on s'est bien entendu et ça a dérapé. Ça a duré deux semaines".
Petite précision utile avant d'aller plus loin, quand on parle d'amour imaginaire, il y a plusieurs degrés aux suppositions que l'on fait sur les sentiments de l'autre. Tout ne vient pas forcément de notre esprit. On s'emporte aussi à cause de choses que l'on nous donne en face. Rien de concret, surtout des phrases ambiguës, mais cela suffit à nous visualiser partir en famille en monospace au Cap Ferret, un labrador dans le coffre.
Et puis un jour, ça retombe comme un soufflé. Après plusieurs semaines d'une idylle plus ou moins rêvée, l'autre ne montre plus les signes du début. Plus de messages, plus de regards, plus de gestes, plus de futurs projets que l'on s'est imaginé faire plus tard sur l'oreiller. Celui qui avait tout pour nous plaire et nous le montrait plus ou moins limpidement a disparu de la carte. Parfois parce qu'on a extrapolé, parfois parce qu'il s'est lassé, souvent pour une autre avec qui ce sera réel. On se (re)trouve seule avec notre histoire que l'on pensait si prometteuse et un pot de glace Cookie Dough. Arrive alors la phase deux : celle du chagrin qui lui, n'a rien d'imaginaire.
On y a cru, à cette relation. Les projections paraissaient si vraies que l'on a l'impression d'avoir vécu une histoire plus importante que ce qu'elle fut vraiment. Et notre réflexe premier est la remise en question, pas de l'aventure, mais de notre propre personnalité. Lisa, 22 ans, qui a vécu cette situation avec un garçon de son groupe d'amis, témoigne de l'après : "Je me suis dit que c'était moi qui avait fait quelque chose pour l'effrayer, que je ne méritais pas qu'on s'intéresse à moi". Pour Jeanne, c'était pareil : "Mon réflexe a été de penser : 'il y a un truc qui cloche chez toi, ce n'est pas la première fois. Pose-toi les bonnes questions sinon ce sont les chats et le chocolat Milka qui t'attendent pour les 40 prochaines années.'"
Une blessure à l'ego qui renvoie à un schéma personnel, surtout lorsque sa vie sentimentale ressemble de près ou de loin à un no man's land désespérant. On se sent seule, on a besoin que quelqu'un nous aime pour se rassurer, pour se prouver qu'on a de la valeur. Et c'est ça qui fait si mal. L'équation dans notre tête se résume à : pas de mec qui s'intéresse vraiment à moi = je ne mérite pas d'intérêt. Un mélange de maths ratées et de psychologie de comptoir qui nous pollue le cerveau et nous empêche de voir clair. Parce qu'évidemment que si, on mérite de l'intérêt.
Au final, cet amour imaginaire, comme son chagrin, est liée à notre solitude. C'est sur l'acceptation de ce sentiment qu'il faut se pencher, plutôt que sur l'échec amoureux. Était-on vraiment accrochée à cette personne ou au contraire à ce qu'elle représentait, à ce que serait notre vie avec quelqu'un qui la partage ?
"La raison a fini par prendre le dessus. Ce n'était rien de grave et je ne perdais personne d'important finalement", poursuit Jeanne. "Aujourd'hui, j'apprends à connaître quelqu'un et je me demande s'il me plaît vraiment avant de me projeter." Une fois qu'on a compris ça et que l'on accorde plus d'importance à rencontrer un partenaire qui nous plaît plutôt qu'à se mettre en couple absolument, la pression redescend, le naturel prend le dessus - et c'est banco, comme dirait Emmanuel Macron.