






On ne peut plus rien dire !
Ca, c'est le gimmick lancinant des boomers, et autres adeptes du "c'était mieux avant". Une ritournelle pourtant démentie depuis des années par les humoristes, même plus "politiquement incorrects", rappelant volontiers qu'il y a 10, 20 et 30 ans, on ne pouvait pas vraiment "dire davantage" : les sketches et blagues provocs ayant toujours suscité affolement médiatique, controverses, scandales.
"On ne peut plus rien dire" revient généralement à employer des termes épouvantails comme "wokisme", ces expressions largement instrumentalisées dans le champ médiatique. Par ceux, étrangement, que l'on entend le plus.
Cependant, un grand nom du domaine n'hésite pas à déployer la punchline aujourd'hui. Effectivement, Laurent Baffie, le plus légendaire "sniper" du PAF, occupe la mythique "der des der" de Libé - le portrait au verso du journal - et en profite pour décocher l'éternel adage. L'humoriste à deux doigts d'évoquer le "politiquement correct" ?
Son portrait fait beaucoup réagir... Et provoque de vraies questions.
"L’ex-sniper télévisé, 66 ans, connu pour avoir dézingué tous azimuts dans l’émission d’Ardisson, trouve une nouvelle jeunesse sur les réseaux sociaux", observe dans cet article Libération, s'étonnant des divers buzzs engendrés par "Lolo" (comme il aime qu'on le surnomme) sur TikTok et YouTube, notamment. Vidéos, podcasts, best of de "vannes" mises en ligne, Laurent Baffie n'a semble-t-il jamais été aussi présent, que cela soit de son gré ou non.
Mais s'acclimate-t-il tant que cela à l'air du temps ?
"On ne peut plus rien dire. Ça a commencé par les annonceurs qui sont devenus les patrons déguisés des chaînes télé, ensuite les réseaux sociaux. On croit qu’il y a une liberté totale sur Internet, mais il faut faire vachement gaffe", déplore la personnalité médiatique. Il semblerait donc que la réponse soit : pas vraiment.
Lui même se dit subtilement "boomer".
Mais si ce n'est pas cela qui a fait réagir le lectorat de Libé.
Alors que le journal s'amuse de voir tomber "la phrase fatidique" ("on ne peut plus rien dire"), non sans ironie, et que l'humoriste, relève le journaliste, "semble néanmoins reconnaître qu’un changement d’époque n’est pas toujours pour le pire" ("Il y a vingt ans, on disait la même chose des vannes de Carlos aux Grosses Têtes. Dans vingt ans, ce sera encore autrement. C’est comme ça, la société évolue en permanence, évolue ou régresse, chacun choisira"), le portrait suscite pourtant la controverse sur les réseaux sociaux.
Si l'on observe les réactions sur Instagram, plus précisément. Florilège : "Sérieusement Libé ?", "A jamais dégoûté de l'odieuse humiliation subie par Christine Angot auprès de Laurent Baffie et Thierry Ardisson", "L'épisode avec Christine Angot était d'une violence inouïe".
Mais de quoi les lecteurs de Libé parlent-ils ?
C'est simple...
Les internautes font référence à cet épisode de Tout le monde en parle datant de 2000. Lorsqu'en plateau, Thierry Ardisson a invité l'autrice Christine Angot. L'animateur a listé à l'adresse de la romancière les critiques négatives de la presse alors même qu'il était question d'un sujet grave - l'inceste dont elle a été victime, violée par son propre père. L'écrivaine a alors tenté de rétorquer.
"Christine, je suis en train de parler. Tu m’écoutes ou je te claque !", avait sur le plateau décoché Laurent Baffie pour interrompre ses protestations. Ce qui donne une idée de l'échange. Récemment encore, Christine Angot était revenue en détails sur cette triste séquence, dans les pages... De Libération. "L’humour-humiliation, c’est le type de « service public » que la télé française a rendu tous les samedis soir à la société pendant tant d’années", fustige l'intellectuelle dans cette tribune.
Qui compare cette confrontation à "une gifle".
En 2018, Laurent Baffie avait sur le plateau de Laurent Ruquier réagit aux critiques de Christine Angot, à travers une sorte de mea culpa : "En aucun cas, le but n'est de blesser les gens, de les humilier, vous, vous avez été blessée car vous l'avez mal vécu. Moi, ma fonction n'était pas de vous blesser. Si je l'ai fait, je m'en excuse. Cela veut dire que j'ai raté mon coup parce que ma fonction n'est pas du tout de blesser les gens mais de déconner sur un plateau"
Face à ce flash back, cette prise de parole de Christine Angot, et ce portrait de Laurent Baffie, on pense à ces mots de la journaliste et autrice Judith Duportail, à propos de l'expression "on ne peut plus rien dire", pour Terrafemina : "On peut plus rien dire. Vraiment ? Est-ce qu'on peut plus rien dire ou est-ce le vieux monde qui n'a jamais réfléchi avant de parler ?"
"J'ai l'impression que c'est la première fois que les dominants comprennent qu'ils feraient mieux de réfléchir avant de sortir tout ce qui leur passe par la tête. Ce "on ne plus rien dire" qu'ils répètent prouve qu'ils ne se sont jamais posé la question de la réception de leur parole. Ils barbotaient dans le privilège de la parole officielle. Je pense que ce constat se partage au sein des rédactions engagées et des milieux féministes"