"Le télétravail sera bientôt généralisé partout où c'est possible", a assuré Emmanuel Macron lors de son discours annonçant un nouveau confinement ce mercredi 28 octobre. A l'unisson, la ministre du Travail Elisabeth Borne a déclaré le 29 octobre dernier que le télétravail "n'était pas une option" et que cette "obligation" serait inscrite dans la nouvelle version du protocole national en entreprise. De quoi rassurer les salarié·e·s soumis·e·s à une exigence de présentiel émanant de leurs supérieur·e·s.
Mais suis-je pour autant libre de contester mon employeur si celui-ci m'oblige à venir au bureau pour bosser ? Et ce malgré les risques que représentent les transports en commun et la vie en entreprise pour ma santé et ma sécurité ? Des questions sensibles en pleine pandémie mondiale.
Avocate au Barreau de Dijon et experte en droit du travail, Mathilde Gaupillat nous apporte son éclairage.
Mathilde Gaupillat : Aujourd'hui, il n'y a pas d'interdiction "totale" de travailler sur un site mais il est davantage question de privilégier les "tâches pouvant être effectuées en télétravail". Or cette notion demeure avant tout soumise à l'appréciation de l'employeur, ce qui laisse à ce dernier la possibilité d'obliger les salariés à venir travailler dans l'entreprise... à condition bien sûr d'avoir une justification solide.
M.G. : Elles sont multiples. L'employeur peut insister sur le caractère spécifique du travail (si le travail en question concerne l'aide à domicile, ou s'il exige le traitement d'une documentation non numérisée par exemple) ou encore sur l'importance d'un équipement professionnel propre aux locaux.
Il peut également insister sur des préoccupations liées à un bon suivi du travail (transmission d'informations, travail du collectif, communication, supervision) qui pourrait être inadéquat avec le distanciel, lequel implique forcément plus d'autonomie et une communication différente.
MG : Le droit de retrait est risqué, car il sera fondé sur une interprétation sur laquelle on ne peut pas vraiment avoir de garantie. S'il est reconnu que l'employeur a raison, le salarié se place dès lors dans une situation de refus de travailler, ce qui constitue une faute, passible de sanctions.
La situation que nous vivons laisse assez peu de libertés aux employés en terme d'autonomie. Elle rappelle le pouvoir d'autorité des employeurs sur les salariés : une relation de subordination un brin "martiale" que l'on a tendance à oublier à l'heure du management collaboratif, mais qui est pourtant la définition-même du contrat de travail. Les employeur ont la liberté d'imposer leurs prérogatives sur leurs employé·e·s.
MG : Non, un licenciement serait excessif. Mais des refus trop systémiques peuvent donner lieu à des sanctions ou, plus globalement, à un avertissement. Sauf si votre situation de santé justifie votre décision. Si l'employeur impose un présentiel, et que l'employé·e le refuse, alors cela est perçu comme un refus de travailler. Les sanctions peuvent ensuite varier selon la durée durant laquelle l'employé·e affirme ce refus.
Si le refus perdure, cela peut avoir de fâcheuses conséquences sur le contrat de travail. Mais je doute qu'un employeur souhaite en arriver là, au lieu de régler les difficultés par le dialogue ou de privilégier un schéma équilibré type "un peu de télétravail, un peu de présentiel", afin de garantir la sécurité autant que possible.
Le mieux est de privilégier le dialogue, et de s'adresser aux représentant·e·s des salarié·e·es.
M.G. : A l'heure actuelle, l'employeur peut être condamné à payer des dommages et intérêts en cas de non-respect des protocoles sanitaires, à savoir : échelonner les horaires d'arrivée et de départ des salariés, respecter les gestes barrières, mettre à disposition du gel hydroalcoolique et de masques, ne pas recevoir du public.
Si ces protocoles ne sont pas respectés, il y aurait alors mise en danger de la santé d'autrui (comme si l'on faisait travailler un employé sur une machine dangereuse), et l'Inspection du travail pourrait décider de fermer l'entreprise. Cependant, l'Inspection du travail ne peut pas grand-chose si le présentiel a lieu dans le respect des règles sanitaires et s'il est justifié par l'employeur.
C'est de cela dont il est question quand le ministère du Travail rappelle que "l'employeur a une obligation de protection de ses salariés". Ce que peut avant tout faire l'Inspection du travail, c'est vérifier la qualité des protocoles sanitaires dans les entreprises : la présence et la qualité des masques, le respect de la distanciation entre les bureaux, la présence du gel hydroalcoolique. Même en cas de crise sanitaire, le télétravail demeure une option qui appartient avant tout aux employeurs.
M.G. : Que l'employeur reste décideur par rapport à la forme de travail qu'il souhaite privilégier – présentiel ou distanciel. Il est le maître de la situation en ce qui concerne le panachage, c'est-à-dire l'alternance entre le travail sur place et le travail à distance.
Il faut rappeler que le droit du travail est un droit contraint : lorsque vous êtes un salarié·e, vous acceptez malgré tout une relation de subordination par rapport à votre supérieur·e. Pour plus d'éclaircissements ou pour soumettre une situation qui vous semble problématique, il serait judicieux d'en faire part au service des Ressources Humaines ou au manager de proximité.