Terrafemina : Comment expliquer le retour, en France mais aussi aux Etats-Unis des méthodes naturelles de contraception qui consistent à calculer son cycle d'ovulation ?
Martin Winckler : La frange de la population féminine la plus éduquée et disposant de plus de moyens d'informations - et d'argent - que les autres a été très frappée par l'affaire des pilules de 3ème génération, et semble réagir à l'attitude autoritaire et paternaliste des médecins qui préfèrent imposer la pilule plutôt que laisser les femmes choisir. Comme les deux autres méthodes de contraception efficace (stérilet et implant) sont contrôlés par les médecins, la solution la plus simple pour s'autonomiser, c'est de se tourner vers des méthodes qui ne nécessitent pas de passer par eux. D'où le choix de ces méthodes. Il faut quand même souligner que l'abandon (relatif) de la pilule concerne surtout des femmes qui en ont les moyens (d'information, d'éducation ou financiers). Les femmes qui n'ont pas les moyens de le faire restent sous pilule ou DIU (dispositif intra-utérin), parce qu'elles ont des problèmes plus pressants. Dans un cas comme dans l'autre, leur choix est respectable et doit être respecté.
TF : Peut-on parler de "régression", comme certains gynécologues atterrés de voir les femmes renoncer à la pilule, symbole naguère d'émancipation ?
M.W. : Régression, c'est un jugement de valeur et il n'y a pas à qualifier cette attitude, qui est une réaction à des décennies de paternalisme et de contrôle. Si une femme ne peut pas obtenir d'être écoutée et de choisir sa méthode en toute connaissance de cause (c'est-à-dire d'obtenir des réponses à ses questions), je trouve sain qu'elle ne se soumette pas et cherche à se débrouiller sans médecin. Laisser entendre que ces femmes sont "inconscientes" ou "régressent", c'est méprisant et vaniteux. L'émancipation ne passe pas forcément par les méthodes prônées par les médecins. J'ai entendu une femme me dire un jour : "Oui, je sais que ma méthode (le diaphragme) est moins fiable qu'une pilule ou un DIU et je sais que je cours le risque d'une grossesse non désirée et d'une IVG. Mais au moins, je reste maîtresse de mes décisions. Et ça me paraît plus important que me plier à l'idéologie d'un médecin." Et je respecte tout à fait cette position. Je ne respecte pas du tout en revanche, les médecins qui ne s'interrogent pas sur leur propre responsabilité dans le rejet que certaines femmes font des pilules.
"Les femmes d'aujourd'hui ne sont pas celles des années 60"
TF : Faut-il voir dans ce recul de la pilule, mais également des autres formes de contraception hormonale, le signe que l'idéologie du "retour au naturel" (le fait d'écouter son corps au lieu de le contrôler, entre autres) rencontre de plus en plus de succès dans l'opinion publique ?
M.W. : Peut-être. Et ce n'est pas surprenant à une époque où l'on remet en cause toutes les manipulations génétiques, hormonales, pharmacologiques dans l'environnement, les produits de première nécessité, l'alimentation, etc. Mais il y a aussi, certainement, l'incapacité de nombreux médecins à comprendre que la contraception n'est pas une prescription médicale, mais un choix qui doit être fait par les femmes en fonction de leurs besoins et de leurs aspirations. La vie est de plus en plus longue et les femmes ont moins d'enfants. Elles passent plus de temps à ne pas désirer être enceintes qu'à le vouloir et à l'être. Les médecins devraient les aider à vivre correctement ces années où elles ne désirent pas être enceintes, en leur proposant des méthodes adaptées à leur âge, à leur vie personnelle, à leurs critères de conforts.
Le refus de stérilet aux femmes sans enfant, la diabolisation de la pilule en continu pour les femmes qui ne veulent pas avoir (ou souffrent de) leurs règles, le mépris à l'égard des coupes menstruelles ou les diktats contre les demandes de stérilisation ont contribué à éloigner les femmes des médecins. Ce que les médecins n'ont pas compris, c'est que les femmes d'aujourd'hui ne sont pas celles des années soixante, qui sortaient juste de la tutelle de leurs maris ou de leurs pères. Elles ne voient pas le médecin comme une figure d'autorité, mais comme quelqu'un qui devrait se mettre à leur service. Et elles ont raison. Si les médecins n'assurent pas ce service, elles s'en passent. Et elles ont raison.
TF : Peut-on lier le rejet des traitements hormonaux et le rejet des vaccins qui gagne du terrain dans la population ?
M.W. : Le lier, je ne sais pas. Les hormones concernent les femmes elles-mêmes. La peur des vaccins porte surtout sur les enfants. Je pense que le point commun, c'est la sensation que les industriels veulent surtout vendre leurs produits, quels que soient les dangers, et qu'une grande partie du corps médical est complice des industriels puisqu'il contribue à en relayer les messages - et à imposer ces médicaments. Le temps où l'industrie (ou les médecins) pouvaient se présenter comme "sauveurs de vie" est révolu. L'industrie n'a rien d'une entreprise de santé philanthropique. C'est une entreprise commerciale. Et tout le monde le sait. Personnellement, je ne suis pas heureux qu'on rejette tous les vaccins, mais je pense que pour gagner la confiance des patients, il faut d'abord écouter leurs craintes et leur donner des réponses solides. Pas les traiter par le mépris.
TF : Quelle est votre opinion personnelle au sujet des méthodes de contraception naturelles qui reviennent à la mode et des applications mobiles qui les rendent plus accessibles ?
M.W. : Je n'ai pas assez d'éléments et d'expérience pour parler de ces méthodes. Mais je pense que toute méthode est utile si on s'en sert correctement, et si on en accepte les limites et les risques d'erreur. Je pense cependant qu'il faut bien garder à l'esprit que la biologie, ce n'est pas une science exacte, et qu'un corps humain, ce n'est ni une machine ni une horloge. On peut se tromper dans ses calculs ou ses appréciations et ovuler deux jours plus tôt ou plus tard que prévu, et les spermatozoïdes vivent de 2 à 5 jours... Alors utiliser une méthode de calcul du cycle, c'est bien, mais il faut en connaître les aléas, les contraintes et les limites pour s'en servir au mieux.