Inconnu il y a encore quelques années, le CrossFit est devenu LA nouvelle discipline moteur dans le paysage des pratiques sportives en France. Du fitness ? Mauvaise pioche. De la musculation ? Pas exactement. Le sport, devenu une marque déposée par son inventeur Greg Glassman en 2001, vise avant tout à dépasser ses limites. Tous les participants, quel que soit leur niveau, doivent ainsi enchaîner des séries d'exercices physiques intenses à un rythme effréné.
Course à pied, montée à la corde, levée d'haltères, pompes, abdos... Le tout sous les ordres d'un coach prêt à donner de la voix pour motiver ses troupes pendant toute la durée du WOD (Workout of the Day). L'inspiration militaire est omniprésente et fait partie de la philosophie même de l'activité qui attire désormais les foules. « Beaucoup de gens croient que pour qu'une activité physique soit bénéfique, elle doit faire mal. Ce qui est complètement faux », explique ainsi Lisbeth Darsh, ancienne directrice d'une salle de CrossFit, devenue depuis consultante en médias sociaux. De quoi donner le tournis aux nostalgiques du regretté Gym Tonic de Véronique et Davina.
Car c'est là le glissement majeur qui s'est opéré depuis une trentaine d'années. Exit l'ambiance discothèque et justaucorps des salles de fitness, place à l'atmosphère « boot camp » comme l'explique la chroniqueuse Heather Havrilesky dans le New York Times Magazine. Au point que le CrossFit doit désormais composer avec toute une gamme d'autres activités « à la dure » : courses d'obstacles Mud Day et Spartan Race, vidéos P90X, programmes Insanity... Quand le bien-être ne suffit plus, la difficulté devient un argument de vente.
Symbole de cette difficulté, Pukey le clown concentre toute la philosophie du dépassement de soi. Ce clown vomissant est devenue la mascotte officielle du CrossFit. Une façon de rappeler à tous les membres de la communauté que l'exercice physique jusqu'a en vomir n'a rien d'anormal une fois entré dans la salle.
Mais pour comprendre ce postulat, il faut revenir sur les causes du vomissement en question. Si la nausée est un peu le signal d'alarme de notre corps, plusieurs situations peuvent provoquer cette sensation lors d'une activité sportive : un repas trop important pris juste avant, la déshydration, et enfin une augmentation de la quantité de lactate et d'ion H+ dans le sang, en raison de l'intensité de l'entraînement.
Concrètement, plus l'exercice pratiqué est intense, plus votre corps peine à nourrir ses muscles en oxygène et à éliminer les déchets produits par l'activité physique. Pour s'en débarrasser, le corps trouve donc un autre moyen en évacuant l'excédent via un vomissement.
Vomir serait donc un simple effet collatéral du CrossFit ? Les adeptes de la discipline l'acceptent, voire le recherchent, comme l'explique le site de fitness LitoBox : « Lors d’un effort physique intense et extrême, un sportif peut être amené à vomir. Dans le monde du CrossFit, certaines personnes valorisent cet état en offrant un t-shirt où la mascotte Pukey le clown vomit, symbole du dépassement de soi. Cette récompense fait penser aux pratiquants qui n’ont jamais vomi qu’ils n’ont pas travailler assez fort. Bien entendu, vomir ne vous rendra pas meilleur ».
Comment être attiré par une activité physique dans laquelle la probabilité de vomir est forte ? S'il est impossible de mesurer précisément à quelle fréquence interviennent les vomissements chez les pratiquants du CrossFit, la réponse est à chercher dans les raisons qui peuvent mener chacun à pratiquer (ou ne pas pratiquer) une activité sportive.
Philip Wilson, professeur associé à la Brock University du Canada, étudie le phénomène de la motivation au sport depuis une dizaine d'années. Selon le chercheur, si la motivation est, sans nul doute, la meilleure façon de créer une habitude de long terme, pratiquer un exercice physique que vous n'aimez pas ne vous fera pas l'aimer davantage. Certains sportifs sont d'ailleurs moins attirés par l'exercice lu-même que par la sensation qu'il procure a posteriori. Ainsi, une étude de 2007 a démontré que des participants tendus et stressés pendant l'exercice, se sentaient mieux au terme de celui-ci.
Les adeptes des programmes d'exercices intenses, comme le CrossFit, sont intimement motivés par ce concept et cherchent à se dépasser par de nouveaux défis. « On cherche à trouver la limite. Et vous ne savez jamais vraiment où est votre limite avant de l'avoir atteinte », résume Lisbeth Darsh. Mais cette motivation, poursuit Wilson, peut devenir néfaste si le sportif cherche la récompense (comme perdre du poids) à tout prix, continuant l'entraînement malgré la nausée.
Un autre spécialiste, Keisha Cutright, professeur à l'Université de Pennsylvanie, estime qu'une des raisons qui expliquent ces comportements réside dans le fait que « l'exercice physique est l'une des choses que vous pouvez contrôler dans votre vie lorsque le reste vous échappe : économie en berne, problèmes dans votre vie professionnelle ou amoureuse...». L'exercice véhiculerait ainsi cette croyance selon laquelle plus on s'y investit, plus on en tire des avantages. Un retour sur investissement simple quand les autres aspects de notre vie sont influencés par ceux qui nous entourent.
Si l'argumentaire peut paraître séduisant pour les plus téméraires, le CrossFit fait malgré tout l'objet de nombreuses critiques de la part de la communauté sportive. Pratique accidentogène, encadrement faible, périodisation inadaptée, faux airs de secte... Certains spécialistes vont même jusqu'à recommander d'éviter ce type d'activité, arguant que la définition même du CrossFit est la non spécialisation. « Force, vitesse et endurance sont des qualités que l’on ne peut pas développer de manière optimale au même moment. Cela ne tient pas la route d’un point de vue physiologique », estime ainsi le préparateur physique Xavier Barbier sur son blog.
Vomir ou pas, finalement peu importe. De cette expérience forcément douloureuse, vous en sortirez plus fort. Telle est, du moins, la promesse du CrossFit…