Lifestyle
Va-t-on abandonner la bise pour toujours ?
Publié le 29 juin 2021 à 19:44
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Rituel français par excellence, la bise est parfois moquée, parfois jalousée, parfois imitée. Seulement, alors qu'un futur où la distanciation sociale n'est plus nécessaire semble se dessiner, on s'interroge : quel sera l'avenir de cette coutume (un peu trop) tactile ?
Se faire la bise Se faire la bise© Adobe Stock
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En France, la bise fait partie des meubles et ne se pratique pas n'importe comment. Gare à celui ou celle qui déciderait de réellement poser ses lèvres sur les joues de l'autre : il s'agit plutôt d'un baiser dans le vent que contre l'épiderme. Du peau à peau plus que du bouche à joue. Rien de collant, rien de baveux pour qui sait s'y prendre. Mais assez de contact pour inquiéter en temps de pandémie mondiale.

Depuis mars 2020 et l'émergence de l'épidémie de Covid, la coutume a donc quasi disparu. Dans l'espace public comme dans beaucoup de cercles privés. Seul·e·s les réfractaires osent s'y aventurer, préférant se saluer en prenant le risque de (se) contaminer que de se contenter d'un "coude à coude" ou d'un signe à distance. Une preuve de leur résistance - au virus comme au gouvernement - on pense.

Maintenant que la population se vaccine, on aurait pu imaginer le retour de cette coutume comme un objectif à atteindre pour un peuple qui la perpétue depuis tant de décennies - et aime à jouer sur le cliché que cela crée à l'étranger. Seulement,elle ne semble plus faire l'unanimité.

On se demande : le rituel que la réputation précède aux quatre coins de la planète va-t-il passer à la trappe pour le bien commun ? Les réticent·e·s qui n'étaient déjà pas fans avant le Covid vont-ils saisir l'opportunité pour y échapper ? Finalement, la bise vit-elle ses dernières heures ? Réponses.

De l'antiquité aux années 60 : un parcours semé d'embuches

La bise ne date pas d'hier. Et ce n'est pas la première fois qu'on la remet en question non plus. Historiquement, on remonte sa trace jusqu'à l'Antiquité, où elle a été instaurée par les Romains. Elle devient monnaie courante parmi les nobles du Moyen-Âge, précise Le Progrès, avant de disparaître durant la Renaissance au profit de la courbette, très certainement pour des raisons d'hygiène. Au 14e siècle, l'Europe est décimée par une épidémie meurtrière : la peste noire, qui fait environ 25 millions de morts en 5 ou 6 ans, soit 30 à 50 % de la population.

Ce n'est que dans les années 1960 qu'elle devient indissociable des us français, allant jusqu'à se décliner en fonction des régions. Nombre, côté par où commencer... On ne fait pas la bise pareil à Annecy ou à Montpellier. Jusqu'en 2020, où on finit par ne plus la faire tout court, écoutant les recommandations sanitaires prononcées par le ministère. Et cette précaution nécessaire serait partie pour rester.

"Les gens ont pris conscience que certaines maladies se transmettaient par la salive. On risque désormais de mettre en balance le coût potentiel d'une bise systématique par rapport à son bénéfice social", constate Marie-Claire Villeval, économiste et chercheuse au CNRS, auprès de Franceinfo. Au réflexe destiné à tou·te·s, on privilégiera la sélection. Mais sur quels critères, exactement ? D'après les expert·e·s, cela va se jouer dans l'intensité de nos relations.

Une question d'intimité
Faire la bise ou ne pas faire la bise. © Adobe Stock

Un sondage de l'Ifop pour le site de service à la personne Aladom l'affirme : 78 % des répondant·e·s ne souhaitent plus coller leur visage contre celui de leur interlocuteur, même passé la crise sanitaire. "La bise entre collègue ou entre inconnus va sans doute être moins fréquente. On va peut-être se rapprocher des modèles nordiques où l'on ne se fait pas la bise. Les humains ont d'autres outils pour se reconnaître", assure l'économiste.

C'est ce qui réjouit Camille, 31 ans. Employée dans une start-up lyonnaise, elle nous raconte avoir ressenti comme un soulagement depuis qu'elle peut utiliser "l'excuse du Covid" pour ne plus "devoir embrasser la moitié de l'open space".

"Je ne faisais pas trop attention à si cela me dérangeait ou pas avant la crise, mais cela n'a jamais été un moment que je trouvais 'sympa' comme essayait de nous le vendre mon supérieur", confie-t-elle. "Après un an de télétravail et de distanciation sociale, cette habitude a été abandonnée. Et c'est depuis que je n'ai plus à m'y coller chaque matin que je me rends compte d'à quel point ça me paraissait ça intrusif". Aujourd'hui, elle espère qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Mais quoiqu'il arrive, elle n'hésitera plus à passer son tour.

Autre résultat édifiant : 50 % du panel interrogé par l'institut confie ne plus vouloir s'y prêter même avec leur famille ou entre ami·e·s. Ce que contestent l'anthropologue David Le Breton à FranceInfo - et Camille, qui garantit vouloir conserver cette proximité avec... ses proches, justement. "Dans des relations très fortes, amicales ou filiales, elle ne va pas disparaître", avance-t-il. L'expert ajoute que cela permettra à "beaucoup de femmes" de s'autoriser "davantage à dire qu'elles ne veulent plus être embrassées et tout le monde pourra l'entendre."

"Cette pandémie va permettre de repositionner le contact dans les relations amicales et professionnelles à sa juste place", insiste à son tour sa consoeur Fabienne Martin-Juchat, dans les colonnes de Ouest-France. Libérateur, et révélateur d'une injonction qui chez certaines, a pu lourdement peser.

Finalement, plutôt que de dire adieu à cette façon de se dire bonjour, on la réservera à ceux et celles qui composent notre entourage de confiance, sans avoir peur de refuser à quiconque n'en ferait pas partie de s'immiscer ainsi dans notre espace. De quoi faire le point sur ce qui nous convient véritablement lorsqu'il s'agit des contacts physiques, pour mieux dresser les limites propres à chacun·e. Une nuance - et une avancée - qui, à l'heure du monde d'après, a de quoi nous enchanter.

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