L'univers de Jane Austen ne vous laisse certainement pas indifférent. Orgueil et préjugés, Emma, Raison et Sentiments... Pour ne citer que ces trois grands classiques de la littérature britannique. Et puis bien sûr, il y a les nombreuses adaptations cinématographiques de ces oeuvres marquantes, où flamboient Emma Thompson, Kate Winslet (Raison et sentiments), Gwyneth Paltrow (Emma l'entremetteuse), Kate Beckinsale (Emma), et bien sûr Keira Knightley (Orgueil et préjugés). Qui n'a pas grandi avec tous ces drames en costumes ?
Et en 2020, ces histoires de passions subtiles et de coeurs qui se brisent en miettes n'ont pas pris une ride. Mais peut-être pas pour les raisons que vous pensez. Non, si l'on relit (et revoit) les oeuvres de Jane Austen, c'est avant tout pour les coutumes et disposition qu'elles mettent en avant. Notamment quand il s'agit de distanciation sociale. Oui oui, cet art de la séparation que l'on se doit de respecter en période de pandémie mondiale.
C'est d'ailleurs ce que nous affirme le site The Tyee : si l'on est amoureuse ou amoureux au temps du coronavirus, il faudrait "faire ce que Jane Austen faisait", rien de moins. Ou tout du moins, relire ses bouquins.
Des baisers "atrocement" retardés, de "longues promenades ambulantes", des liaisons sentimentales non autorisées voire impossibles, des partenaires qui se miroitent à deux mètres de distance (bienséances d'époque obligent), d'intenses confusions sentimentales et de tristes séparations... Pour l'autrice Dorothy Woodend, c'est un fait, l'amour au temps du Covid nous renvoie au romantisme désenchanté et lyrique de Jane Austen.
D'autant plus que d'Orgueil et préjugés à Raison et sentiments, la romancière oblige ses héroïnes (au sort incertain) à une même injonction sociale : "Aucun baiser délicat n'est autorisé, mais il est encore possible de se promener", résume le média. Déambuler un peu mais pas trop. Près de son lieu d'isolement surtout. Et à une distance respectable bien sûr. De brefs interludes en dehors du foyer, histoire de se dégourdir un peu les jambes.
Ces analogies un brin ironiques, on peut les envisager également à travers un retour (souhaité) à l'écriture comme principale forme de communication entre les amoureuses et les amoureux en ces temps de confinement mondial. Comme si les messageries sur-actives en période d'isolement généralisé (de celles que l'on retrouve sur le compte Instagram d'Amours solitaires) équivalaient aux interminables conversations épistolaires et policées des romans du 19e siècle.
D'accord mais chez Jane Austen, mais c'est encore autre chose qu'expriment les personnages féminins et masculins. Il suffit d'observer la position qu'ils occupent dans l'espace. Cet autre chose, la radio PBS le synthétise à travers son instructive Histoire des tendances de la distanciation sociale. La mode féminine, nous dit-on, a effectivement été pensée en fonction de cet éloignement d'usage entre les individus et les classes sociales - mais aussi entre les sexes. Au 18e comme au 19e siècle, les vêtements que l'on porte peuvent ainsi servir, de par leur largeur et leur opulence, à éloigner les "prétendants inopportuns" et limiter "les expositions inutiles".
Les garde-robes mises en avant dans le petit monde de Jane Austen ne dérogent pas à la règle. La vie publique semble régulée par ce défilé de magnifiques robes à crinoline, ces jupes volumineuses à la mode au 19e siècle (en pleine publication d'Orgueil et préjugés donc) et qui nécessitent de par leur importance "des maisons avec suffisamment d'espace". Autrement dit, un confort social plutôt net, avec serviteurs alentours.
Au gré du siècle, de même que ces crinolines imposaient une séparation entre les obligés et leur dame (et surtout envers "leur décolleté" nous dit-on), l'avènement des "jupes-cerceaux" va prolonger cette forme de "sécurité sociale". Et c'est cette même séparation qu'assurent les larges chapeaux également arborés.
Paraît-il même que les épingles que l'on y plantait pouvaient faire office de sérieux moyens de défense face aux porcs. Et oui, la mode serait donc bel et bien une "stratégie d'isolement", affirme PBS, voire même "une méthode de protection", aussi élégante soit-elle. Selon le média toujours, le port de robes à crinoline aurait même - plus inconsciemment qu'autre chose - atténué les dangers des épidémies de choléra et de variole de l'époque.
Par-delà cette mode vestimentaire si graphique que nous avons toutes et tous spontanément en tête, c'est un certain "état d'esprit" que tiennent à synthétiser les adeptes de la romancière. "Êtes-vous actuellement confinée à la maison et non autorisée à la quitter, sauf pour de longues promenades et quelques destinations essentielles ? Portez-vous des gants, écrivez-vous des lettres à des amis éloignés tout en vous adonnant aux mêmes passe-temps ? Devez-vous maintenir une distance avec autrui d'au moins six pieds ? Si tel est le cas, vous pourriez tout aussi bien être une héroïne de Jane Austen !", s'amuse en ce sens la revue en ligne Decider. Mieux vaut en rire.
Vous avez saisi le "mood". Le site, lui, parle carrément de "style de vie", celui d'un temps passé et d'un imaginaire romanesque au fort potentiel tragique, où les personnages féminins se voient perdus "dans leurs propres pensées et leurs sentiments confus". Drôle de façon de tuer le temps et l'anxiété. D'un autre côté, il est bon de se rappeler que les oeuvres de Jane Austen, et notamment leurs somptueuses adaptations à l'écran, nous prouvent, fleurettes à l'appui, que la distanciation sociale peut aussi être "sexy", source de tensions érotiques et d'imagination éveillée.
Evidemment, on trouvera toujours plus joyeux que les mots de l'autrice légendaire pour nous rassurer - car la mort et la maladie sont loin d'en être absentes. Mais ces bonds dans le temps ne sont pas dérisoires pour autant.