C'est le dilemme de tou·te·s ceux et celles qui goûtent aux joies de la parentalité : que mettre en place au cours de ses jeunes années pour que son enfant devienne quelqu'un de sympathique, de fréquentable, de généreux. Que sa confiance en soi le porte, qu'il sache s'entourer et se débrouiller, qu'il soit ouvert sur le monde. Un vrai mystère s'il en est.
Pour tenter de le résoudre, on a demandé quelques conseils à la docteure Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier. La spécialiste y a lancé, il y a 5 ans, un programme d'accompagnement des parents tyrannisés par leurs enfants. Une approche thérapeutique qui prône la résistance non-violente face à des jeunes patient·e·s au comportement particulièrement difficile.
Aujourd'hui, elle énumère pour nous plusieurs clés destinées à un public plus large que celui qu'elle côtoie au quotidien, soit sans troubles diagnostiqués, qui tracent les grandes lignes d'une éducation saine. A lire avec attention.
"Être un parent bienveillant, c'est très important. Seulement, quand un enfant est anxieux - même si spontanément, on veut le rassurer et le soulager - il faut toujours faire attention à ce que notre réponse ne représente pas un évitement", prévient la pédopsychiatre. Prenons un exemple concret : "Ce n'est pas parce qu'il ne veut pas manger à la cantine qu'on va aller le chercher tous les jours pour qu'il se sente mieux. Sur le court terme, c'est peut-être effectivement mieux pour lui, mais pas sur le long terme."
A la place, lorsqu'il ou elle évoque la peur d'aller quelque part, ou de faire quelque chose (qui ne représenterait pas de danger pour sa santé, cela va sans dire), on applique ce qu'elle appelle la "fermeté bienveillante".
Une technique qui se traduirait ainsi, explique-t-elle : "Je sais que ce n'est pas facile pour toi, je comprends. Tu es anxieux et tu n'as pas envie d'y aller. Mais j'ai confiance en toi, tu vas y arriver. Je viens te chercher ensuite et on en parlera ce soir". La docteure Nathalie France ajoute tout de même que "pour les enfants très anxieux, cela peut être un déchirement. On peut avoir l'impression d'aller contre son instinct parental. Mais pour la suite c'est important. Il faut voir plus loin que l'instant présent. Rassurer, mais exposer quand même."
En "exposant" un·e petit·e à ses craintes, "à des choses nouvelles, à des faiblesses qu'ils surmonteront", tout en confirmant sa position réconfortante, on lui permet de construire son estime de soi. Et par conséquent, d'être mieux armé·e pour le futur. L'adolescence... comme l'âge adulte.
Un conseil qui fonctionne également sur les mots. Comme le terme "non" qui, dans certaines formes d'éducation positive, est quasiment banni. "Interdire les mots n'a pas vraiment de sens. Après, évidemment, il ne faut pas dénigrer l'enfant. Mais là, c'est encore une fois l'évitement d'un mot normal auquel il devra de toute façon se confronter plus tard. Et on ne lui rend pas service en lui ôtant des contraintes".
Pour ce qui est de savoir dresser des lignes à ne pas franchir, nombreux parents s'interrogent également sur la bonne technique à suivre. Et forcément, comment agir quand celles-ci sont outrepassées. Des moments-clés qui pourront dessiner les contours d'un comportement futur, et préparer l'adaptation de son enfant face aux règles de la société.
"Cela dépend bien sûr des enfants. D'un point de vue général, je dirais que ré-expliquer inlassablement pourquoi il ne faut pas faire ci ou ça, c'est un peu contre-productif au niveau éducatif. On ne doit pas toujours tout justifier." Comprendre qu'un "non, pas de brownie à 20 heures" ne doit pas obligatoirement être accompagné d'un monologue sur l'effet du sucre sur la santé avant de se coucher.
Côté punition, Nathalie Franc invite davantage à valoriser les comportements adaptés qu'à sanctionner les mauvaises conduites. "Plutôt que de punir ce qui ne va pas, on valorise quand c'est bien. Au lieu de répéter les mêmes consignes et de s'énerver quand quelque chose n'est pas fait, on félicite quand c'est fait. C'est un conseil qui est d'ailleurs valable pour tout le monde : on observe toujours un meilleur résultat quand on félicite un comportement positif que quand on punit un comportement négatif."
Concernant les ados, et les enfants "particulièrement opposants", elle précise : "Il est conseillé d'éviter de s'énerver, ou de prendre des décisions à chaud pour les plus grands. On peut par exemple dire : 'Je ne suis pas contente et il y aura des conséquences', puis réfléchir à tête reposée et revenir quelque temps plus tard en listant lesdites conséquences qui nous semblent justes. Ne pas être dans l'action-réaction, car ça ne marche pas avec eux."
On lui demande toutefois : y a-t-il un comportement à ne pas du tout tolérer ? "La violence", répond la spécialiste. "Qu'elle soit verbale ou physique, il y a une ligne rouge à ne pas franchir".
C'est l'une des inquiétudes majeures des jeunes parents. Quand on grandit loin des smartphones et que la nouvelle génération s'en trouve entourée, difficile de ne pas y voir un danger potentiel, et l'influence néfaste sur le développement des plus petit·e·s. D'après le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), il serait essentiel d'en préserver leurs yeux avant 3 ans. Dre Nathalie Franc tempère cependant : il n'y a aucun argument scientifique qui prouve l'impact néfaste de ces appareils en tant que tels.
"Ce que l'on peut dire pour les tout-petits, c'est que le temps passé sur les écrans est du temps perdu à faire autre chose." A communiquer, à s'éveiller, à bouger, notamment. Des activités nécessaires à son bien-être. "Et encore, il faudrait plusieurs heures par jour pour voir une différence", poursuit la pédopsychiatre. "Là aussi, le problème avec le fait d'être anti-écrans, c'est qu'on risque de couper volontairement les enfants d'une éducation ouverte sur le monde. A partir du CE2-CM1, celui qui n'en a jamais eu dans les mains va être décalé."
Elle avise plutôt : "Il y a des règles à mettre, mais il ne faut pas bannir. Encore une fois : l'évitement n'est jamais la solution."
Notre dernière question porte sur l'égoïsme. Comment faire pour que son enfant ne vire pas en adulte obnubilé·e par sa propre personne et ses besoins ? Malheureusement, si la réponse se jouait en quelques mots, cela se saurait. Et en l'occurrence, cet aspect peu reluisant d'une personnalité ne vient pas nécessairement de l'éducation reçue, loin de là.
"Il y a trop de facteurs, de déterminants autres que ce que va lui inculquer sa famille", détaille Nathalie Franc. "L'altruisme ou l'empathie sont de plus très variables d'un enfant à l'autre. Certains l'ont spontanément, pour d'autres, cela reste plus compliqué. Même au sein d'une même fratrie"
Elle conclut en encourageant davantage de spontanéité dans le comportement des parents. "Les parents ne sont pas parfaits. Et c'est aussi important de montrer à ses enfants une image non-parfaite de soi, pour ne pas en faire des anxieux des performances". Ça, et savoir se délester de l'avis des autres. "Il y aura toujours des donneurs de leçons qui ont eu des enfants parfaits. Il faut éviter de s'encombrer l'esprit avec ce genre de conseils, ne pas oublier que les enfants sont très différents, et que cela reste une forme d'injustice."
Autant de recommandations déculpabilisantes pour contribuer à bâtir un environnement équilibré, et faire régner une indulgence salutaire qui saura, en même temps que les petit·e·s, apaiser les grand·e·s.